des chants. Si deux personnes se promènent ensemble se tenant sous le bras, il semble qu’elles ne causent qu’en chantant. S’il y a du monde sur l’eau dans une gondole, c’est la même chose. » C’était le temps où le bel Anzoleto rencontrait Consuelo, « la petite Espagnole, devant les madonettes, chantant des cantiques par dévotion ; et lui, pour le plaisir d’exercer sa voix, il avait chanté avec elle aux étoiles des soirées entières[1]. » Les dimanches et jours de fêtes, aux Mendicanti, à la Pieta, la foule se pressait en telle abondance, que la Seigneurie dut fixer par des règlemens spéciaux les heures et les conditions des offices. Tous les soirs dans la belle saison il y avait concert quelque pari ; de sorte que jour et nuit, tout entière, la ville mélodieuse chantait.
Et maintenant, regardant en arrière, reportons un moment nos yeux sur la Rome de Palestrina. C’est dans la Sixtine sombre : en haut siègent les prophètes irrités ; en bas, autour d’un pontife lui aussi menaçant, sous la menace du Christ justicier de Michel-Ange, quelques vieillards écoutent la lugubre psalmodie des Improperia. Des voix tristes disent les mystères de douleur et le péché de l’homme, cause de la souffrance et de la mort divine. Un par un les cierges s’éteignent, et, dans les ténèbres croissantes où nul bruit, nul rayon du dehors ne pénètre, où se devine encore la fresque terrible, les voix poursuivent la complainte sacrée d’un siècle de pénitence et de rigueur.
Cent cinquante ans plus tard, à Venise, chante un siècle de joie. Entrons à l’Académie délia Cavallerizza, ainsi nommée parce qu’elle servit jadis aux exercices équestres, aux nobles jeux physiques de la Renaissance. Dans une salle élégante, Marcello convoque une fois par semaine, pour entendre ses chefs-d’œuvre, un auditoire digne d’eux : artistes, gentilshommes, femmes éblouissantes de parure et de beauté. On va exécuter un psaume du maître. Les chœurs se composent de quatre soprani, six alti, six ténors et quatre basses ; à l’orchestre, huit contrebasses, quelques violoncelles, et un cembalo devant lequel, en habit de gala, Marcello lui-même vient s’asseoir. Alors, au lieu de versets austères, s’élèvent des cantiques de fête. On dit qu’à l’heure où le soleil baisse, autour du palais d’où s’échappaient de tels accens, peu à peu s’amassait la foule, et les gondoliers s’arrêtaient pour écouter, debout, appuyés sur leur rame. Hors de tout sanctuaire, libres de toute liturgie, moins sublimes sans doute que celles de la chapelle Sixtine, c’étaient encore là de belles vêpres, et
- ↑ George Sand, Consuelo.