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vainement suivies des Latins et des Grecs ! ô fleurs toscanes cueillies indignement sur le Parnasse sacré, puisqu’on en devait tresser, pour des fronts profanes, d’inutiles, de houleuses guirlandes ! Et toi, qui que tu sois, qui te réjouis de mon supplice, poète (je le dirai pourtant), poète impie, inhumain, hélas ! fallait-il me déchirer ! fallait-il, hélas ! pour le plaisir de l’inepte vulgaire, qu’à des maléfices et des sortilèges on fit servir mes chants sacrés[1] ? »

Que pensent d’une pareille protestation nos modernes faiseurs de livrets ? Sont-ils sûrs que si les ombres de Dante, de Shakespeare, de Gœthe et de Schiller revenaient sur nos théâtres de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, elles n’y tiendraient pas à peu près ce langage ?

C’est encore aux poètes d’opéra que, dans son pamphlet du Théâtre à la mode, Marcello donne la première place et porte les premiers coups. Du chapitre I, qu’il leur consacre, et du chapitre suivant, qui s’adresse aux compositeurs, on pourrait extraire non pas une philosophie, le mot aurait ici quelque chose d’ambitieux et de pédantesque, mais des idées abondantes, fines et profondes, sur les rapports de la musique et de la poésie. Pas une question importante, et de celles qu’on traite encore aujourd’hui, que Marcello n’entrevoie et n’aborde : quels sujets se prêtent à la musique et lesquels s’y refusent ; abus, dans le drame musical, des incidens, des péripéties, de l’action trop compliquée ou trop rapide ; inconvéniens d’une mise en scène exagérée ; nécessité pour le librettiste d’être un véritable poète, mais un poète en quelque sorte musical ou pour ainsi dire musicable. Autant de sujets sur lesquels Marcello jette un regard et dit un mot. Le mot est toujours ironique et le regard moqueur. Voici, par

  1. Ma sentirò da sciocca e vana gente
    Cantarsi ad uso di corrotte scene
    Quella di tanti giorni
    Ed altrettante notti ardua fatica.
    Oh ! giorni ! oh ! notti adunque
    Mal spesi ! Oh ! inyan seguite
    Greche scorte e Latine ! Oh ! toschi fiori
    Indegnamente colti
    Nel sacro Parnaso,
    Se formarne doveansi
    Inutili ghirlande e vergognose
    A tempie si profane !
    E tu, chiunque sia
    Che del mio strazio esulti,
    Poeta (il dirò pur) empio, inumano,
    Deh ! perche lacerarmi,
    Deh ! perche ad allettar l’insano volgo
    Formi incanti e malie con sacri carmi !