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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/701

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Charles-Antoine se décidait à retirer la candidature de son fils, « il approuverait sa résolution en qualité de chef de la maison de Prusse, comme il avait approuvé, quelques semaines auparavant, la résolution contraire. » Ce souverain qui a fait de si grandes choses n’a jamais aimé que les rôles passifs.

On voit clairement quel avait été le plan de M. de Bismarck. Il s’était promis que Napoléon III serait instruit en même temps de la candidature autorisée du prince Léopold et de son élection par les Cortès. Il entendait le mettre en présence d’un fait accompli. De deux choses l’une : si l’empereur se résignait, c’en était fait de son autorité, de son crédit politique ; que pouvait-il désormais empêcher ? S’il protestait et portait la main à la garde de son épée, il se mettait sur les bras l’Espagne soutenue par la Prusse, se trouvait pris entre deux feux. Malheureusement Prim avait parlé trop tôt, et le roi Guillaume avait à se tirer d’un mauvais pas. Il en coûte à un souverain de se rendre à des réclamations véhémentes, de se dédire, de battre en retraite ; il avait le droit de se plaindre que son ministre lui eût donné un dangereux conseil. Non seulement M. de Bismarck avait attiré une mortification à son maître ; ayant été l’inventeur et l’âme de ce complot, il venait d’essuyer un grand échec personnel. Mais il n’était pas homme à rester sous le coup d’une défaite, et il jura de donner à cette intrigue manquée un dénoûment tragique. Comment il s’y prit pour provoquer la France et l’obliger à déclarer la guerre, on le sait pour l’avoir appris de lui-même. « Il est si facile, a-t-il dit, d’altérer le sens d’un discours ou d’une dépêche par des omissions et des ratures ! Auparavant c’était une chamade, maintenant c’est une fanfare. »

Devenu empereur d’Allemagne, le roi Guillaume écrivait au prince de Roumanie : « Dieu a si visiblement tout préparé et tout conduit par sa volonté qu’on la reconnaît partout, et nous devons nous réjouir qu’il nous ait trouvés dignes d’être ses instrumens. » La grâce la plus précieuse que Dieu lui eût faite était de lui avoir donné pour ministre un de ces violons qui forcent la main à leur roi, transforment en fanfares ses chamades, et le contraignent à être heureux et glorieux malgré lui. Le prince Charles-Antoine a dit le dernier mot de cette affaire dans une lettre qu’il adressait à son fils Charles en 1872 : « Je n’ai pas pour Bismarck une admiration sans réserve ; mais il a toujours de grandes vues et de grands desseins. Dans la question espagnole, tous tant que nous sommes, il nous a passé sur le corps. »


G. VALBERT.