et qu’elle a laissé les cœurs plus ulcérés, rien de plus naturel ; mais qu’en Allemagne, dans une assemblée issue du suffrage universel, elle soit, tout compte fait, déclarée mauvaise, il est permis d’en être étonné. On comprend que l’empereur en ait été ému jusqu’à l’exaspération, et qu’à son tour, cherchant à éteindre la voix du Reichstag sous le retentissement de la sienne, il ait parlé avec fracas au nom des peuples et des princes allemands. Il les représente à sa manière, soit ; mais le Reichstag les représente à la sienne, et, quoiqu’on fasse, son vote conservera une importance morale que nous ne voulons pas exagérer, mais qu’on s’efforce en vain de diminuer. On l’exagérerait, on l’interpréterait mal si on croyait que l’unité allemande est une œuvre incertaine de l’avenir et qui déjà menace ruine. L’Allemagne aspirait depuis longtemps à l’unité, et, après l’avoir conquise, elle n’y renoncera plus. Mais ce que la majorité du Reichstag a désavoué, ce sont les procédés violens et brutaux dont M. de Bismarck a usé pour l’accomplir. Les peuples qu’il a vaincus et broyés ont des députés dans le Parlement impérial : aucun ne lui a pardonné. Quelques-uns protestent toujours contre leur incorporation à l’empire ; d’autres n’oublient pas la manière violente dont ils y ont été rattachés ; et de tout cela résulte un sentiment commun qui vient de se traduire par le vote inopiné du Reichstag. Pour réagir contre ces tendances qu’il juge dangereuses, l’empereur a pensé que le meilleur moyen était de parler de la France et de se livrer à notre sujet à des manifestations assez peu conformes à l’ensemble de sa politique. L’appréhension de la France n’est-elle pas le meilleur ciment de l’unité allemande ? Voilà pourquoi l’empereur a parlé du « sang de Mars-la-Tour », et a fait graver sur l’épée qu’il a donnée à M. de Bismarck les armes d’Alsace-Lorraine, c’est-à-dire le signe même de l’irréparable dans les sentimens des deux nations ; voilà pourquoi il a imprimé à ses discours une allure ultra-belliqueuse. Est-ce là une menace à notre adresse ? Non : en tout cas la menace ne s’adresserait à nous qu’à demi, car, en parlant de l’épée, toujours l’épée, « le moyen qui, d’après lui, ne trahit jamais », l’empereur a ajouté que cet instrument primordial de la puissance prussienne « pourrait encore, entre les mains des princes et des rois, conserver à l’intérieur l’unité de la patrie qu’il a unifiée autrefois à l’extérieur. » La menace, s’il y a menace, s’applique donc au dedans encore plus qu’au dehors.
M. de Bismarck s’est prêté à cette mise en scène avec cette bonhomie apparente qui a des retours si redoutables. Il a abondé dans le sens de l’empereur, au risque de dépasser un peu la mesure. Que pensait-il dans son for intérieur ? On ne le saura peut-être jamais. Il a assuré, sans se départir de son sérieux, qu’il avait toujours été officier avant tout, et que là serait son signe distinctif devant la postérité. « Si je n’avais pas été officier, a-t-il dit, je ne sais si j’aurais suivi les mêmes voies justes. C’est l’officier du 9e régiment de territoriale qui m’a servi de guide