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l’extrême mobilité et l’indépendance du bataillon dans les manœuvres, l’abandon du système des lignes et leur fractionnement, les charges de colonnes reliées par les tirailleurs. »

Ce sont là les principes mêmes de l’ordre profond, appliqués par l’armée française pendant toute la première partie des guerres de l’Empire, introduits et solennellement consacrés en Prusse par le règlement officiel de 1812.

Ainsi — et ceci n’est pas la moindre des surprises que l’histoire de la tactique puisse offrir — tandis que nous nous rattachions avec obstination au règlement de 1791, qui perpétuait jusqu’à nos jours l’influence de l’école de Frédéric II, les Prussiens abandonnaient, dès 1812, officiellement, leurs vieux règlemens pour prendre comme base de leur nouvelle tactique nos propres procédés de combat.

Ils les modifiaient cependant, après les guerres de l’Indépendance, sur un point important. Les circonstances difficiles où les avait placés la désastreuse campagne de 1807 les avaient amenés à adopter le type du bataillon à 1 000 hommes, répartis en quatre compagnies. Or, ces gros bataillons formaient une colonne lourde, difficile à manœuvrer. Elle offrait beaucoup de prise au feu de l’adversaire, et, somme toute, ressemblait assez peu à son modèle, la petite colonne de bataillon français, dont l’effectif dépassait rarement 400 à 500 hommes.

Pour remédier à cet inconvénient, ils imaginèrent de substituer la colonne de compagnie, forte de 200 à 250 hommes, à la colonne de bataillon. Ils suivaient en cela une voie tout opposée à celle où nous nous étions engagés nous-mêmes à latin de l’Empire, comme je l’ai dit plus haut. Tandis que nous nous laissions aller à renforcer la colonne de bataillon, dans l’espérance d’en augmenter la puissance de choc, les Prussiens, au contraire, en réduisaient l’effectif pour lui conserver toute sa souplesse et toute sa mobilité. Ils usèrent beaucoup de ces petites colonnes et s’en trouvèrent bien[1]. Cette formation resta populaire dans l’armée prussienne. En 1825, son usage était assez général pour que le règlement lui donnât droit de cité, et en 1847 elle y prenait officiellement place, non plus comme une formation nécessaire et utile, mais comme la base même de tous les mouvemens, comme ordre fondamental de combat.

Il est hors de doute que dans la pensée des théoriciens allemands la substitution de la colonne de compagnie à la colonne de bataillon ne constituait qu’une modification sans grande

  1. Dumesnil-Durand avait déjà préconisé l’emploi de ces petites colonnes dans ses ouvrages, mais cette formation n’avait jamais été pratiquement essayée.