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et nier l’utilité et même la possibilité de conserver une formation propre qui correspondît à ce mode d’action.

Là était le péril, et c’est, en effet, ce qui advint. Mais les conséquences ne se déroulèrent pas tout d’un coup. Il fallut deux grandes guerres pour qu’elles se produisissent dans tout leur développement ; encore l’éclat du triomphe des armées allemandes dans ces deux guerres les masqua-t-il longtemps aux yeux les moins prévenus ! et à l’heure actuelle nous avons encore peine à nous soustraire à cette influence. La guerre de 1866 sembla, en effet, prononcer contre la colonne de bataillon, cette pierre angulaire de la tactique napoléonienne, en faveur de la colonne de compagnie, une condamnation sans appel. Les deux formations s’étaient trouvées aux prises, et le résultat de la lutte ne paraissait pas laisser de doute possible sur la supériorité de la colonne de compagnie comme instrument de combat.

Après la campagne de 1859, en effet, l’armée autrichienne avait cherché à se pénétrer de son mieux des procédés de combat de ses vainqueurs. Elle avait surtout été frappée des heureux résultats obtenus par les charges vigoureuses de nos petits bataillons, si mobiles et si légers, dont la brillante offensive, poursuivie un peu au mépris des prescriptions réglementaires de l’ordonnance, avait eu raison de ses belles et solides troupes. Elle avait donc fait de la charge à la baïonnette par bataillon en masse le fondement de sa tactique et s’était appliquée y entraîner ses troupes à tout propos et hors de propos. Mais, à notre exemple aussi, elle s’était laissée aller à méconnaître l’importance du rôle des tirailleurs et à en négliger l’emploi avec un parti pris évident. Ce furent ces procédés qu’elle appliqua en 1866. Son infanterie exécuta à maintes reprises pendant toute la campagne, avec une bravoure et une ténacité qui lui firent grand honneur, des attaques en colonne, par bataillon ou demi-bataillon, qui n’étaient jamais précédées ou soutenues que par un mince rideau de tirailleurs, insuffisant pour préparer sérieusement par leur feu l’action du choc. Partout ces attaques échouèrent misérablement devant la tactique inaugurée par l’armée prussienne. Celle-ci, confiante dans son arme nouvelle et enhardie par ses premiers succès de 1861 dans l’emploi de ses procédés tactiques nouveaux, n’hésita pas à lancer en avant ses colonnes de compagnie. Indépendantes et légères, elles se glissaient aisément partout sur le terrain ; elles s’enveloppaient d’une nuée de tirailleurs qui pouvaient, sans être trop gênés, s’approcher des colonnes ennemies et les cribler, avec leur fusil à tir rapide, d’une grêle de projectiles. Ce feu d’une violence inouïe arrêtait net l’élan des bataillons