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caché de ces mélodies très souvent sans paroles, car c’est un des reproches que nous font les Indiens : « Les blancs, disent-ils, parlent beaucoup en chantant. » D’abord, lorsqu’elle assistait à leurs danses et à leurs festins, elle n’entendait, qu’un bruit discordant de voix humaines couvertes par les tambours et le flageolet ; remarquant cependant que la multitude qui l’entourait semblait prendre grand plaisir à ce qui, pour elle, était un vacarme barbare, elle se persuada qu’elle avait tort dans ses préventions et se mit à écouter ce qui se passait sous le bruit ; elle ne tarda pas à faire des découvertes. Sa maladie de plus d’une année l’aida certainement : tandis que les Peaux-Rouges allaient et venaient autour d’elle avec une affectueuse sollicitude, elle leur demandait de chanter tout bas, pour ménager son extrême faiblesse ; la douceur de certains airs lui fut révélée ainsi. Puis elle goûta la beauté des symboles, son retour à la santé ayant été célébré par la cérémonie du Wa-Wan. On la transporta dans un chariot le long du Missouri, jusqu’à la grande cabane en terre où l’attendaient les vieillards, où hommes, femmes, enfans s’étaient rendus en grand nombre sur leurs petits chevaux. Des bras robustes la portèrent à l’intérieur ; là on avait dressé pour elle un lit de repos couvert de peaux de bêtes ; le peuple se réunit autour du feu central et deux ou trois cents voix entonnèrent le chant de l’approche, le chant qui précède l’arrivée des porteurs de calumets de paix. Ceux-ci défilèrent sous la galerie d’entrée : alors le sens de la musique apparut parfaitement clair à miss Fletcher. Elle se hasarda à mettre des vers amoureux sur d’autre musique qu’elle avait notée et les jeunes gens, quand elle chanta, se troublèrent, parce que c’était en effet une chanson d’amour qu’on ne doit chanter que lorsqu’on aime. Pourtant ils dirent, satisfaits : « C’est cela, vous nous avez compris. »

De plus en plus, elle entra dans leur vie intime, faisant connaître au monde les chants d’Omaha par centaines et aussi ceux des Dakotas, des Otoes, des Poncas, dont les dialectes sont de même famille. Maintenant elle s’occupe des Pawnies qui représentent une autre souche. On sent combien, à mesure que ces tribus auront cessé d’exister, absorbées par le reste de l’Amérique, il sera intéressant de trouver dans leurs chants ainsi conservés le point précis où s’arrêtèrent pour eux le développement de la vie mentale et la puissance d’expression. Miss Fletcher écrit aussi des rapports sur les origines présumées, l’histoire et les lois de ses protégés, leurs relations avec les Européens qui, à partir du XVIe siècle, les persécutèrent sous prétexte de les civiliser. J’espère pouvoir un jour donner la substance des