— Non seulement, me dit-il, je parle leur langue, mais encore je comprends leurs gestes, un langage aussi compliqué, aussi rapide que celui des sourds-muets.
Il favorise très volontiers du reste les fiançailles, les mariages, surtout quand le jeune couple a le projet d’appliquer ses connaissances agricoles à la création d’une ferme. C’est le couronnement d’un système d’épargne auquel les Indiens s’habituent beaucoup plus facilement que les nègres. Un gain minime est attaché aux industries de l’école et pendant les vacances, quelquefois tout l’hiver, ils se louent dans les fermes d’alentour, ce qui leur fournit l’occasion de se mêler aux blancs : les hommes travaillent avec les fils de la maison ; les jeunes filles obéissent à la mère de famille ; et les notes de conduite envoyées régulièrement par le patron au directeur de Carlisle forment à la longue une sorte de dossier. Ce procédé ingénieux d’outing, comme on le nomme, a d’excellens résultats ; on ne peut suffire aux demandes qui sont faites de tous côtés, les Indiens du capitaine Pratt ayant la réputation, rare chez leurs pareils, d’excellens ouvriers. L’argent qu’ils gagnent ainsi est placé au nom de chacun et les intérêts s’accumulent. Ils peuvent devenir indépendans : c’est là le rêve du capitaine. Le Congrès n’est rien moins que magnifique à leur égard ; toutes ses libéralités sont pour les nègres, plus inquiétans par le nombre. Il faut donc que les travailleurs indiens se suffisent à eux-mêmes, qu’ils se joignent de plus en plus pour cela aux associai ions ouvrières, aux trades unions. Les outings sont le premier pas vers ce grand résultat : être absorbés dans la nation, qui n’aura plus alors de prétexte pour leur refuser les privilèges de citoyens.
Tandis que nous causons, l’heure du second déjeuner sonne ; on me fait entrer dans l’immense salle à manger, encore parée des guirlandes de Noël. Les élèves sont distribués autour de cinquante-huit tables et chantent en chœur ce que nous appellerions un benedicite avant de faire honneur au repas avec un appétit de cannibales.
Et à mon tour j’accepte le lunch, offert par Mrs Pratt dans la maison du surintendant. Je fais connaissance avec une femme absolument dévouée à l’œuvre qui absorbe la vie de son mari. Elle a la foi, elle croit que l’Indien peut s’élever tout aussi haut qu’un autre sous de bonnes influences morales et religieuses. Mais lorsque je demande là-dessus, avec une précision catholique, à quel culte ils appartiennent, on me répond qu’il n’y a guère que deux cents garçons et filles répartis entre les diverses églises de Carlisle. Ils sont parfaitement libres sur ce chapitre ;