altercations s’engagent. Des arrestations ont lieu. L’excitation va croissant. Il est à prévoir que, lorsque les tricoupistes et les anti-tricoupistes se trouveront en présence, un conflit se produira, et alors… alors on en arrive à l’un de ces momens où, suivant le mot légendaire, les fusils partent tout seuls. Comment éviter ce danger ? Comment sortir, sans effusion de sang, d’une crise qui prenait rapidement un caractère menaçant ? Quelques jours auparavant, lorsque la situation était loin d’être aussi alarmante, M. Balacopoulo, le chef de la délégation envoyée au palais par le syllalitirion, avait dit au roi : « Sire, le peuple ne compte plus que sur Votre Majesté. » L’heure approchait où la royauté, immobile et silencieuse jusqu’alors, allait intervenir.
Les manifestans arrivaient au Champ-de-Mars, cerné et gardé par les troupes. Ils poussaient des cris contre le ministère. Les tricoupistes répondaient. Quelques rixes avaient eu lieu et une mêlée générale était à craindre. Une quinzaine de personnes étaient déjà blessées, dont un soldat. À ce moment, un personnage qu’on n’attendait pas apparaît sur le lieu des événemens. C’est le prince Constantin, fils aîné du roi Georges, héritier du trône et commandant en chef de la circonscription militaire dont la capitale fait partie. Il arrive, accompagné de deux aides de camp, sans autre escorte, comme venant faire une promenade. Mais il n’y a pas à s’y tromper. Pour qui connaît le caractère grave et réservé du prince héritier, son absolue déférence pour le chef respecté de sa famille, il n’est pas venu là de lui-même et sans une haute approbation. Dans sa personne, c’est la monarchie qui entre en scène et qui prend la direction des événemens. Les Athéniens du XIXe siècle, presque aussi fins que leurs ancêtres de l’antiquité, l’ont tout de suite compris. Les colères se calment comme par enchantement ; on se précipite vers le prince ; on l’entoure, on le harangue : « C’est vous qui nous sauverez, » lui dit-on. On le charge de porter au roi les doléances du peuple. Il se dirige vers le Palais pour accomplir sa mission. Après son départ de nouvelles charges sont faites par la police et la cavalerie pour disperser la foule ; mais celle-ci, déjà plus calme depuis l’intervention du prince, ne se laisse pas entraîner à des imprudences. Bientôt, d’ailleurs, le diadoque (c’est le nom officiel qu’on donne à l’héritier du trône) revient du Palais après avoir vu le roi. Il ordonne aux troupes et à la police de se retirer. La foule, rassurée, s’écoule de son côté sans trop de bruit. Décidément, cette fois, les fusils ne partiront pas.