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l’insouciance philosophique du mrii, la prosaïque sottise de l’amant ; Mlle Hackendorf, l’exubérante millionnaire que tout le monde courtise et que personne n’épouse ; Balbine, la petite perruche romanesque dont l’idéal s’est concrète dans la barbe magnifique d’un imbécile ; Chantrin le raseur, ont semblé des types, pris sur le vif, grandis en vue des proportions de la scène plutôt que caricaturisés, et dont les originaux n’ont pas cessé d’exister dans notre société. — C’est enfin la dextérité du metteur en scène. Il y a, dans l’Ami des femmes, une intrigue combinée avec une adresse merveilleuse. M. de Ryons en tient les fils. Comment cet homme habile va-t-il s’y prendre pour arracher à Jane de Simerose son secret ? Comment lui fera-t-il dire les quelques mots qu’il s’est juré de lui faire prononcer ? Comment la réconciliera-t-il avec son mari ? Comment saura-t-il mettre à profit l’impétueuse sottise, l’humeur bouillante et brouillonne de M. de Montègre pour amener cette réconciliation ? Voilà ce qui éveille et qui tient en suspens la curiosité. On s’amuse de l’ingéniosité de M. de Ryons, comme de celle d’un faiseur de tours, d’un prestidigitateur qui joue la difficulté. On ne le prend pas un instant au sérieux.

C’est dire que ce qu’on applaudit dans l’Ami des femmes, n’est pas ce que M. Dumas y avait mis de particulier, à quoi il tenait et qui en faisait la substance. La psychologie paradoxale de M. de Ryons, ses théories sur les femmes, « l’idée » enfin de la pièce avait paru fausse et même choquante : elle avait empêché d’apercevoir les mérites subsidiaires de l’ouvrage. Avec le temps tout s’émousse. Les idées de M. Dumas nous sont trop connues pour qu’elles puissent encore provoquer notre résistance. Nous les admettons, ou plutôt nous passons condamnation. La pièce est restée la même, mais le point de vue a changé ; ce sont d’autres parties qui émergent. — De même pour la Princesse de Bagdad. La première fois qu’on nous avait présenté Lionnette, le comte de Hun et M. Nourvady, nous nous étions, comme cela est naturel, enquis de leur état civil. Nous avions demandé à M. Dumas dans quel pays et dans quel monde ou plutôt dans quel coin de son imagination il avait rencontré ces personnages. Il nous avait semblé que tous les actes de Lionnette sont dictés par la plus incontestable folie, que Nourvady, s’il est frère d’Antony, est pour le moins cousin germain de Monte Cristo et que l’hôtel des Champs-Elysées est machiné comme un château d’Anne Radcliffe. Faute de croire à la réalité de ces personnages, nous avions été incapables de nous intéresser au conflit des intérêts et des sentimens qui les mettent aux prises. Cette fois nous avons pris notre parti de l’inconsistance de ces êtres de fiction. Nous les acceptons tels qu’on nous les donne. Nous ne discutons plus, nous écoulons. Nous nous laissons prendre par les entrailles. — L’Ami des femmes nous avait amusés comme un vaudeville