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prince de Birac, qui fut, dit l’histoire, un assez triste personnage. Le commandant de Montaiglin pardonne à Raymonde, coupable à son égard d’avoir gravement péché par omission. Il est vrai que l’indulgence dont il est aujourd’hui question est plutôt un corollaire de la faiblesse ; il avait semblé à M. Dumas que pour avoir le droit de pardonner il faut le prendre dans une conscience sans reproches. — Enfin, quand on nous a fait connaître les beaux drames d’Ibsen, nous en avons admiré presque également la puissance et l’étrangeté. Nous nous sommes inclinés respectueusement, alors même que nous ne comprenions pas très bien, crainte de passer pour des imbéciles. Nous avons admis sans discuter que le symbolisme était né, comme il le devait faire, au pays des brumes, dans des régions où ne fréquente pas d’ordinaire l’esprit latin. C’est pourquoi nous n’avons pas été seulement surpris, mais nous avons été un peu fâchés quand nous nous sommes aperçus que les ouvrages de l’un de nos compatriotes n’étaient pas sans contenir des beautés du même genre. Ou le personnage de Lionnette de Hun est tout à fait inexplicable, ou il s’explique par les lois de l’hérédité. Il y a de l’Ibsen là-dedans. Césarine et mistress Clarkson sont des êtres chimériques et fantastiques autant pour le moins que Nora et la Dame de la Mer. Aussi est-ce avec une sorte de candide étonnement qu’au lendemain de la reprise de la Femme de Claude on signalait la présence du symbolisme là où on ne se souvenait pas qu’il dormit depuis vingt-deux ans : « Tiens ! c’est du Dumas ! »

On comprend que je n’ai ni la sottise ni le mauvais goût de résumer dans l’œuvre de M. Dumas tout le mouvement du théâtre en France et hors de France, en y joignant tout le développement de la pensée contemporaine. Mais nous sommes volontiers oublieux et ingrats ; nous sommes d’une ignorance qui tient du prodige pour tout ce qui touche aux richesses de notre propre littérature. Aussi nous rend-on service toutes les fois qu’on nous aide à en faire l’inventaire. M. Alexandre Dumas a été le plus vigoureux initiateur du théâtre contemporain. Il a opéré, préparé ou pressenti toutes les réformes qui s’y sont faites pendant un long espace de temps. Il est juste de lui rendre hommage pour celles qu’il a menées à bien. Et il sera prudent de ne pas recommencer celles où il a échoué.

Mais surtout il me semble qu’au moment où l’on se plaint de toutes parts, et non sans raison, que le théâtre traverse une période difficile, il y a une leçon à tirer de l’œuvre de M. Dumas. Ce que ces dernières reprises ont contribué à en faire mieux ressortir, c’en est le mérite proprement dramatique. Nul en notre temps n’a été plus que M. Dumas un maître du théâtre ; nul n’a exercé sur le public une action plus considérable. D’où cela vient-il ? Alors même que le moraliste se trompe et que l’observateur est en défaut, l’homme de théâtre subsiste, qui