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surtout M. Chamberlain, ont paru vouloir limiter et arrêter. « Personne ne peut prétendre, a dit M. Hanotaux, à entraver l’initiative des hommes courageux qui vont à la découverte de ces pays nouveaux. » On n’y a prétendu au surplus que lorsque ces « hommes courageux » étaient Français : pour peu qu’ils aient été d’une autre nationalité, Belges par exemple, on n’y a vu aucun inconvénient. Il serait temps qu’un arrangement sincère et complet intervint entre la France et l’Angleterre sur les questions d’Afrique. Nous y avons toujours été disposés, et, lorsque la conversation s’est trouvée brusquement interrompue entre l’Angleterre et nous, M. Hanotaux a eu le droit de dire que ce n’était pas notre faute. En attendant, les questions se multiplient, s’amoncellent et s’entassent, sous prétexte qu’on les résoudra plus facilement un jour, les unes par les autres et toutes à la fois. Nous n’en sommes pas bien sûrs : encore faudrait-il essayer ! La situation actuelle ne peut que s’aggraver en se prolongeant. Elle surexcite dans les deux pays une sourde impatience, qui se manifeste par des éclats brusques et violens comme celui qui vient de se produire en Angleterre, et qui aurait pu amener, de part et d’autre, un steeple-chase de chauvinisme. La France n’a pas voulu s’y prêter. Mais, comme on vient de le voir, l’opinion anglaise, piquée de l’éperon par sir Edward Grey, continue à elle seule son galop effréné. Nous ne pouvons que la regarder faire, et attendre.


Nous avons déjà dit, et nous sommes de plus en plus convaincu que les grandes questions se déplacent, et qu’après avoir été en Europe et avoir paru un moment se fixer en Afrique, elles se retrouveront bientôt en extrême-Orient. Ce qui se passe en ce moment entre la Chine et le Japon n’est pas de nature à nous faire changer d’avis. On sait qu’un armistice partiel a été conclu. Les Japonais se montrent, une fois de plus, un peuple essentiellement réaliste. A en juger d’après nos sentimens occidentaux, il semblait impossible qu’ils résistassent à la tentation d’aller à Pékin, après s’être assurés de toutes les voies qui y conduisent. Une nation européenne n’aurait pas laissé échapper cette occasion d’inscrire dans son histoire un de ces faits dont le souvenir agit ensuite comme un levain héroïque dans la conscience nationale. Il y a au Japon, à la vérité, un parti considérable qui pousse à la reprise et à la continuation de la guerre, jusqu’à ce qu’elle ait produit toutes ses conséquences ; mais le gouvernement parait croire que ces conséquences peuvent être obtenues dès maintenant sans qu’il soit indispensable de prolonger les hostilités : il a assez de gloire pour pouvoir se contenter des résultats que sa diplomatie lui assurera. Que peut faire la Chine ? Il lui faudrait, pour résister aux exigences du vainqueur, trouver un appui parmi les puissances européennes, et aucune, du moins jusqu’ici, ne paraît disposée, ni même prête, à le lui donner. Les