trait du dessin ne s’efface, qu’aucun rayon ne se perde : si les hommes alors bâtissent Grenade aux toits roses, ils auront ajouté la vie à la beauté sereine et qui n’a pas de saison.
Tout près de moi, en ramenant mes yeux sur la tour, j’aperçois une cloche. Elle est fameuse dans les traditions du pays, la cloche de la Vêla: elle sonne le 2 janvier pour fêter l’anniversaire de 1492, époque à laquelle la bannière chrétienne flotta sur l’Alhambra. Les jeunes filles, ce jour-là, montent en foule pour tirer la corde, car il est de foi populaire que les carillonneuses du 2 janvier se marieront dans l’année. Je ne me lasse pas d’étudier le paysage. Je me rends compte de la forme de cette forteresse de l’Alhambra, dont les murailles suivent les crêtes du promontoire boisé ; mais les constructions ne se relient plus les unes aux autres, et se lèvent isolées, tours ou morceaux de palais, sans ornement extérieur, parmi des terrains semés de ruines. Mon guide m’interrompt:
— Il faut se hâter, si vous ne voulez pas être trempé par la pluie !
En effet, des nuées d’automne, accourues des sommets de la Sierra Nevada, crèvent sur nous, et bruissent lourdement sur les ormeaux des pentes.
Je repasse dans la cour des Citernes, près du monstrueux palais inachevé dont Charles-Quint enlaidit la terre sacrée de l’Alhambra, près des boutiques de marchands de photographies, de marchands d’antiquités parisiens, qui viennent là « pour la saison », et je visite la tour des Infantes, la tour de la Captive, puis les salles ou les patios qu’il suffit de nommer pour qu’une image précise réponde à l’appel des sons : la cour des Myrtes, la cour des Lions, la salle des Ambassadeurs, la salle des Abencérages, les bains, la salle des Deux-Sœurs, et tout le reste que détaillent les guides.
Qu’y a-t-il donc? Oh! vraiment, « il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville ! » Est-ce l’humeur du temps qui assombrit la mienne? Je regarde, et je m’étonne de ma froideur en présence de merveilles tant vantées. J’évoque le souvenir de ces pages célèbres qui m’avaient, il me semble, chargé d’admiration, comme une bobine aimantée l’est d’électricité. L’étincelle ne part pas. Je suis déçu, et, en y songeant bien, la pluie n’explique pas toute ma déception. Vous qui n’avez vu l’Alhambra qu’en photographie, mon ami, ne le regrettez qu’à demi : la cour des Lions, que vous imaginez grande, est petite en réalité, presque mesquine; ses lions sont moisis par l’humidité; le patio des orangers renferme surtout des ifs malingres ; l’eau ne court plus dans