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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/118

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— La vue doit être bien belle de là-haut, Excellence?

— Admirable ! Cependant les factionnaires trouvent parfois la place un peu chaude. Ils ont pour distraction de voir passer au large les bateaux et tout près d’eux les singes. Vous saviez, monsieur, que Gibraltar possédait, seul en Europe, une bande de singes vivant en liberté?

— Oui, Excellence, mais il doit être difficile d’avoir des nouvelles fraîches?

— Je vous demande pardon. Je puis vous en donner. Le poste, sur le rocher, voit constamment les singes dans la brousse ; il met à leur disposition de l’eau potable quand la chaleur a tari les crevasses ; il s’intéresse à leur sort, et ne manque pas de me prévenir, par le téléphone, des accroissemens constatés dans la bande. J’ai reçu avis, ces jours-ci, qu’on remarquait plusieurs petits sur le dos des mères. La bande se refait. Elle a été si réduite vers le milieu de ce siècle, qu’on a cru qu’elle allait disparaître. Il ne restait que douze individus vers 1860.

— On les tuait?

— Jamais. Personne ici n’a le droit de tirer un coup de fusil. Vous verrez nos oiseaux de mer! Non, la dépopulation était due à des épidémies de variole, prétend-on. Aujourd’hui le nombre a remonté à cinquante. Ils habitent les fourrés, où ils mangent surtout les racines douces du palmier nain, descendent, au temps des figues, dans les jardins des villas, et, comme ils sont très frileux, se sauvent dès que souffle le vent d’ouest, passent la crête, et se réfugient sur la côte orientale. Maintenant, songeons aux choses sérieuses. Vous désirez visiter quelque chose des fortifications et une ou deux casernes? Eh bien! trouvez-vous au palais demain à huit heures : je désignerai un de mes officiers pour vous accompagner.

Je m’en allai, très touché de la courtoisie de ce haut fonctionnaire anglais, et je pris la route que j’avais suivie hier soir. La promenade de l’Alameda était enchanteresse encore, elle avait une épaisseur d’ombre, et des dentelures, et des retombées de lianes balancées par le vent que n’ont pas nos forêts. Bientôt elle s’amincit, et devient un chemin, de ceux que les massifs d’ormes et les buissons de fuchsias rendent si plaisans dans la campagne de Jersey. Nous traversons une petite ville, Rosia, toute composée de cottages aussi espacés que le permet le terrain, maisons de campagne de quelques habitans de Gibraltar, habitations d’officiers dont les soldats sont casernes à la pointe de l’île. Beaucoup de jeunes femmes, de jeunes filles, d’enfans et de clématites aux fenêtres, qui sont toutes ouvertes sur la baie.

Nous sommes à une lieue du port, et, au delà de cette petite