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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/130

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Marat était républicain, mais avec une ardeur qui passait les bornes de la modération ; la moindre teinte d’un discours contraire aux principes d’égalité, de liberté, le portait aux soupçons les plus violens : bonhomme d’ailleurs dans la société, où son instruction le rendait intéressant. S’il eût vécu assez pour voir la République triomphante, il se serait, disait-il, renfermé dans la sphère de ses études, les sciences et les lettres ; et il y avait plus de bonne foi dans cette annonce de ses projets ultérieurs, qu’il n’y en aura dans la pensée de celui qui est le sujet de ce parallèle, lorsqu’il dira, quelques jours avant le passage du Rubicon, le 18 Brumaire, et après cette journée, qu’il n’a d’autre pensée que celle de se retirer à la Malmaison, pour y cultiver les mathématiques, et tout au plus pour y être juge de paix.

Lorsqu’il s’agissait de ce qu’il croyait l’intérêt de la République, aucune considération ne l’arrêtait. Il apostrophait à la tribune et dans ses écrits le meilleur de ses amis, comme il eût soutenu ses ennemis personnels, quand il les croyait attachés à la liberté. Telle était la règle de sa conduite envers Robespierre, Danton et tous ses collègues de la Convention nationale ; marchant d’ailleurs le plus souvent par sauts et par bonds, et se croyant tous les droits de l’insolence et de la bizarrerie, alors même qu’il avait l’air de suivre les devoirs de l’humanité et d’en épouser les sentimens généreux.

L’une des premières notabilités féminines de 1789, qui n’avait pas cessé d’être en mouvement depuis cette époque, Mlle Théroigne, très connue dans Paris, surtout par sa démocratie, fut soupçonnée de défection, arrêtée par le peuple et conduite au Comité siégeant aux Feuillans, aux cris répétés : « A la lanterne ! » La foule devint si grande, si considérable et si menaçante, que les membres du Comité désespéraient de sauver la pauvre amazone ; lorsque Marat arriva, le danger était imminent, même pour les membres du Comité, qui différaient de la livrer. Marat leur dit : « Je la sauverai. » Il prit par la main Mlle Théroigne, parut devant le peuple irrité, en lui disant : « Citoyens, vous voulez attenter à la vie d’une femme ! Allez-vous vous souiller d’un pareil crime ? La loi seule a le droit de la frapper : méprisez cette courtisane. Revenez, citoyens, à votre dignité. » Les paroles de l’Ami du peuple apaisèrent le rassemblement. Marat profita de cet intervalle de calme pour enlever Mlle Théroigne, et l’introduisit ensuite dans la salle de la Convention : il la sauva par cette démarche hardie. Je fus témoin d’un acte à peu près semblable rue Saint-Honoré. Le peuple avait saisi un homme vêtu d’un habit noir, poudré et frisé, suivant la mode de l’ancien régime. « A la