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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/134

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L’ennemi, assailli de toutes parts, sortit du fort, dont nous nous emparâmes à l’instant, et se retira à la hâte. Toutes ses positions inférieures furent écrasées par notre feu, qui les dominait. Ainsi Toulon et le fort la Malgue, où portaient quelques-uns de nos boulets. Vaincue à droite par Dugommier, vaincue à gauche par Lapoype, l’armée ennemie opéra sa retraite. La nôtre brisa les portes de la ville insurgée. Nous entrâmes dans Toulon. Les troupes de marine, qui avaient refusé d’ouvrir, étaient rangées en bataille sur la place ; elles furent cernées, et mirent bas les armes. Nous rendîmes compte au Comité de salut public que l’armée de la République était entrée dans Toulon le 29 frimaire. Sur le rapport du Comité, la Convention nationale décréta que l’armée dirigée sur Toulon avait bien mérité de la patrie ; que le nom de Toulon serait remplacé par celui de Port-de-la-Montagne ; et que les maisons de l’intérieur de cette ville seraient rasées. Cette mesure nous parut si grave qu’elle ne fut exécutée que sur des maisons où se réunissaient les comités rebelles. La Convention ordonnait aussi la punition des traîtres. Les chefs des troupes marines nous étaient dénoncés comme auteurs de tous les malheurs de cette contrée de la France. Les représentans du peuple, d’accord avec les généraux, crurent ne pouvoir se dispenser d’obéir, au moins en partie, aux volontés de la Convention et du Comité de salut public, et, tous réunis pour reconnaître la nécessité des mesures de rigueur, on décida l’établissement d’un nombreux et grand jury. Ceux des chefs militaires et civils qui furent convaincus d’avoir participé à la rébellion et à la tradition de Toulon aux ennemis furent condamnés, suivant l’exemple qu’ils en avaient donné les premiers, lorsque, maîtres de Toulon et soutenus par les coalisés qu’ils y avaient introduits, ils avaient, au nom de Louis XVII, arrêté, condamné et exécuté tant de malheureux patriotes.

Au moment de la prise de Toulon, et alors que nous entrions en vainqueurs, je marchais environné de tous ceux qui ne demandaient que justice et vengeance et qui s’applaudissaient du triomphe que nous venions de remporter. Éloigné d’eux avec un sentiment pénible, je ne pus retenir un soupir : « Faut-il, m’écriai-je avec désespoir, que mon oncle se trouve parmi ceux que mon devoir m’impose de frapper, et que mes compagnons d’armes désignent comme des victimes qu’on doit sacrifier au salut public ! » Mes larmes furent aperçues, mais elles me furent pardonnées par ceux à qui la colère la plus légitime ne pouvait faire prendre ces larmes pour une trahison. Ils me rendirent la justice de reconnaître que si j’avais un cœur de parent, les lois