exprimé la force d’icelui. Car, notre nature n’est pas seulement vide et destituée de tous biens, mais elle est tellement fertile en toute espèce de mal, qu’elle n’en peut être oisive[1]. » Un véritable évolutionniste, un évolutionniste convaincu ne saurait assurément s’exprimer en termes plus précis ni plus explicites. Oserai-je pourtant avancer qu’il y a mieux encore ? Et pourquoi non, si je le crois ? La « théorie de la descendance » est venue donner en quelque sorte une base physiologique au dogme du péché originel ; et la principale difficulté qui suspendît l’assentiment des incrédules ou de quelques croyans même, c’est vraiment Darwin et Haeckel qui l’onlevée.
Le dogme choquait la raison. Il contrariait l’idée que l’on se formait communément du pouvoir de la liberté. Mais il choquait surtout nos idées de justice ; et ce qui paraissait « monstrueux » à de fort honnêtes gens, c’était que nous fussions punis, dès en naissant, d’un crime ou d’une faute que nous n’avions pas été personnellement avertis de ne pas commettre. Quod admoneri non potest ut caveatur, imputari non potest ut puniatur ! Cependant, au lieu d’adoucir ce que la doctrine avait de dur, on l’avait rendu plus dur encore, et ce qui n’était que difficile à comprendre, il semblait qu’on eût pris une sorte d’âpre et sombre plaisir à nous le rendre inconcevable. « Chose étonnante ! — s’écriait Pascal, dans un endroit célèbre des Pensées, — chose étonnante que le mystère le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la transmission du péché, soit une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous-mêmes ! Car il n’y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant le plus éloignés de cette source, semblent incapables d’y participer. Et cependant, sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme, de sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère que ce mystère n’est incompréhensible à l’homme ! » Voltaire triomphait, sur ces derniers mots, et de s’écriera son tour : « Quelle étrange explication ! l’homme est inconcevable sans un mystère inconcevable !… » En quoi, d’ailleurs, il ne faisait pas attention que, tous les jours, nous « expliquons » ainsi des choses que nous n’entendons guère par des choses que nous n’entendons point : la gravitation par l’attraction ; les combinaisons des corps par les affinités chimiques ; les phénomènes de la vie par les propriétés de la matière
- ↑ Institution chrétienne, texte français, Édition Baum, Cunitz et Reuss, 1869 Brunswig, t. I, p. 293.