une pour le libre penseur, grâce à la « théorie de la descendance ; » et finalement il s’est trouvé que, d’un « symbole » qui répugnait à la « raison » de nos pères, l’évolutionnisme, en notre temps, a fait presque une réalité.
Dirai-je maintenant les conséquences qui découlent de là ? Je les recommande à l’attention de ces étranges moralistes qui, tout ce qu’ils ont appris de la doctrine évolutive, c’est que nous devrions favoriser en nous ce qu’ils appellent avec emphase « le développement de toutes nos puissances, » et « l’épanouissement de toutes nos virtualités ! » Mais, tout au contraire, et conformément à la « théorie de la descendance », si nous ne sommes devenus hommes ; si notre espèce ne s’est différenciée comme telle ; et, en deux mots, si le « règne humain » ne s’est réalisé qu’à mesure, et dans la mesure où nous nous dégagions de l’antique animalité, le « règne humain » ne subsiste, il ne se maintient, il ne dure ; et l’espèce ne se développe, elle ne continue son évolution ; et nous-mêmes, enfin, nous ne vivons que de la victoire qu’il nous faut quotidiennement remporter sur l’humiliante fatalité de notre première origine. Ce que nous nous devons en tout cas, et avant tout, c’est de dompter, de soumettre, et de dominer ce que nous trouvons d’instincts en nous qui nous rapprochent de l’animal. L’humanité est à ce prix, dans ce combat contre la nature ; ou encore, elle n’est qu’une conquête, et c’est ce combat qui la fonde. Car « ce qui est naturel, c’est que la loi du plus fort ou du plus habile règne souverainement dans le monde animal, mais précisément cela n’est pas humain ; — ce qui est naturel, c’est que le chacal ou l’hyène, l’aigle ou le vautour, quand ils sont pressés de la faim, obéissent à l’impulsion de leur férocité, mais précisément cela n’est pas humain ; — ce qui est naturel, c’est que le « roi du désert » ou le « sultan de la jungle » promènent leur amoureux plaisir de femelle en femelle, et disputent l’objet de leur choix aux enfans de leur race, mais précisément, cela n’est pas humain ; — et ce qui est naturel, c’est que chaque génération, parmi les animaux, étrangère à celle qui l’a précédée dans la vie, le soit également à celle qui la suivra, mais précisément cela n’est pas humain. »[1] On nous pardonnera de nous citer ainsi nous-même, si, ce que nous disions il y a tantôt six ou sept ans, nous ne saurions mieux le redire aujourd’hui. C’est la « théorie de la descendance » qui nous oblige en tout à ne nous souvenir de nos origines que pour y être infidèles ! Et qui ne voit en effet qu’à développer toutes nos « puissances » et
- ↑ Voyez dans la Revue du 1er septembre 1889 : Une Question de morale.