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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/185

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nous dûmes insister près de lui. Il n’était pas en veine de versification malgache... et ce fut en français qu’il entonna tout d’un coup d’une voix tonitruante, avec un luxe de gestes, au complet ahurissement de son auditoire :


Les femmes, ne m’en parlez pas !
Parbleu, les femmes sont exquises,
Mais ça fait faire des bêtises,
Et ça nous met dans l’embarras...


V

Boutou fait de grands et rapides progrès, commence à écrire calcule en français aussi bien qu’en malgache. Comme je résiste rarement au désir qu’il m’exprime dans ma langue, il sait mettre gentiment ma faiblesse à profit ; cela lui vaut des billes, des balles, des gâteaux de riz et des oranges. Monpera Bauzac, pourtant plus sévère que moi, s’est montré, lors du dernier examen, très satisfait de son catéchumène. L’écolier de la troisième classe a glorieusement passé dans la seconde, au milieu de grands garçons.

Son nouveau maître, ancien élève du collège d’Ambouhipou, se nomme Pierre Rakoutoumalala... ce Hova matin brigue ma faveur et mes subsides... Voilà pourquoi, dans l’intention de me ménager des surprises, il enrichit de mots nouveaux le vocabulaire français de mon fils adoptif... Je forme néanmoins le projet d’enlever l’enfant à cette sollicitude intéressée, et je préfère à ce pédagogue indigène mes compatriotes, les Frères de la Doctrine chrétienne...

Boutou ne partage pas mon sentiment : l’école des Frères est éloignée de ma maison... le régime de l’internat est bien dur...

— Vous êtes mon père et ma mère, et ferez de moi tout ce qu’il vous plaira. Mais si je vais à la classe qui dort, je serai triste et pleurerai beaucoup de ne plus voir mon vazaha chaque jour.

— Je quitterai prochainement ton pays, mon enfant; tu dois t’accoutumer à ne plus me voir.

— Jamais je ne m’y accoutumerai... Quand il n’y aura plus de vazaha, il n’y aura plus de Boutou.

— As-tu donc envie de me suivre de l’autre côté de la mer?

— Je voudrais aller partout où vous irez... Je n’ai pas peur de la mer. Il y a, sur le bateau, des cuisines où le riz bout, des salles où l’on mange, des lits où l’on dort... Mais pour gagner Tamatave, il faut marcher sept jours à l’Est, puis au Nord, et je suis trop petit, je ne pourrais pas vous suivre...

— Je te mettrais dans un panier, je te donnerais deux porteurs.