la messe solennelle lui donnait un prétexte à souhait pour demander audience, attaquer la conversation avec le pape ; il recevait une réponse dilatoire, l’entretien prenait un autre tour, il glissait aux affaires sérieuses, aux affaires du roi.
Elles étaient terriblement embrouillées. Pour apprécier à leur juste valeur les services d’Arnaud d’Ossat, pour mesurer la rectitude de son jugement et la fermeté de son patriotisme, il faut se remémorer cette France en perdition du temps de la Ligue. Ce pays de soubresauts, si souvent menacé de ruine par ses propres folies et par les convoitises des autres, sauvé toujours par quelque cœur de chez lui qui le relève et le relance au sommet de l’histoire, je ne crois pas qu’il ait couru de plus grands périls qu’à cette heure. Non, pas même dans les pires agonies de la guerre de Cent ans. Qu’était la puissance des Plantagenets en regard du colosse espagnol? « Atlas qui porte le monde, » écrit quelque part d’Ossat. Ni la majestueuse hégémonie de Louis XIV, ni le rapide ouragan déchaîné par Napoléon, ne se peuvent comparer à l’écrasante pesée de Philippe II sur l’Europe. Du fond de ce bureau de l’Escurial où il griffonne ses paperasses, le sombre fantôme étend son ombre sur la terre, d’une marche lente, sûre, inéluctable. Sa conquête universelle a le caractère de la fatalité; il détruit les indépendances nationales jusqu’au fond des cœurs qu’il corrompt. Il a l’omnipotence de l’or, dont il détient les sources; l’omnipotence de la croix qu’il accapare en la défendant, car le pape n’est que son légat; l’omnipotence des armes: tous les pays où on lève des soldats de métier râlent sous la bannière espagnole.
Deux points de résistance possible sur la terre : la France et Rome. Sur la mer, il y a l’Angleterre, mais presque dépossédée de son élément, cloîtrée dans son île. La France! Il l’enserre de tout l’horizon. Elle palpite, hypnotisée par le vampire qui la guette et l’absorbe, qui est partout, sur les Pyrénées, sur les Alpes par le Savoyard, sur les Vosges, sur la Moselle, sur l’Escaut, sur l’Océan par ses armadas qui épouvantent nos ports. Dans cet effroyable danger, la pauvre folle se déchire de ses mains, s’offre pantelante : fureurs religieuses, fureurs politiques, ambitions impies ; les intérêts et la piété se liguent pour appeler l’Espagnol, pour lui demander un roi de sa façon, quelque fantoche sous lequel un duc d’Albe ou un prince de Parme viendra dépecer nos champs de Seine et de Loire, réduire Paris à la condition servile, atroce, des cités flamandes et brabançonnes. Qui ramassera le pays en dissolution? Le roi? il est pire que le fou Charles VI, ce maigre Anjou, usé en Pologne, usé à Venise, pourri, sournois, oscillant, sans autre défense que le jeu des poignards,