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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/221

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XIV, Innocent IX, de faibles vieillards qui passent, soumis à leur électeur espagnol. Il était temps que le canon d’Arqués et d’Ivry vînt rassurer le timide Clément VIII, fournir à d’Ossat les argumens que demandait ce fin connaisseur. — « Le roy doit tenir pour certain que comme ses affaires iront en France, ainsi iront-ils à Rome, et que quand il seroit le meilleur catholique du monde, jusqu’à faire des miracles tous les jours et à toute heure, si toutefois il estoit peu heureux au faict de la guerre et de ses conquêtes, il ne seroit jamais recongneu pour roy à Rome; comme au contraire, il ne seroit que tolérable catholique, comme il doit aspirer à être le meilleur de tous, si toutefois par la force et par sa bonne conduite il vient au-dessus de ses affaires en France, on lui offrira du costé de Rome ce qu’on lui ha si indignement refusé. »

Clément VIII reprend la politique de Sixte-Quint, mais avec quelles réserves, quelles hésitations au début! Aldobrandini n’a pas l’âme résolue du vieux Peretti. Il tremble encore devant l’Espagnol qui décline, comme on se signe au bruit attardé de la foudre, l’éclair passé. Il le ménage en vue de sa grande chimère, la croisade européenne contre le Turc. Le pape Clément appartenait, comme le Tasse qu’il voulut couronner, à cette famille d’esprits, encore nombreuse à la fin du XVIe siècle, raillée avec une secrète tendresse par Cervantes, et qui avait le regret, l’illusion du chevaleresque autrefois. Sa dévotion ardente, étroite, s’alarmait à chaque mesure de tolérance décrétée par Henri IV. Surtout, il ne pouvait pas croire que la conversion du roi fût sincère; il mit des années à s’en persuader, et d’Ossat à le convaincre. On lui avait tant dit que Clément VIII perdrait la France d’Henri IV comme Clément VII avait perdu l’Angleterre d’Henri VIII, s’il se résignait à accepter le roi hérétique! Ce roi n’était-il pas tout prêt, comme jadis l’Anglais, à rompre avec Rome pour avoir plus de facilité à épouser ses maîtresses? Il y avait dans cette prophétie plus que le jeu tentant d’une comparaison symétrique : la similitude des situations inspirait à beaucoup de contemporains le même pronostic.

Le voit-on, maintenant, le chétif abbé, jeté à la mer loin du bâtiment qui sombre, chargé d’en sauver le pavillon? Il lutte seul, sans ressources, pour la France en détresse, contre la puissance espagnole, contre la formidable machine qui englobe tous les rouages de l’Europe, contre son Église prise dans l’engrenage, contre ses propres compatriotes acquis à l’esprit de la Ligue. On ne sait ce qu’il faut le plus admirer, de ses vues pénétrantes dans les ténèbres où tâtonnaient les autres, de la force d’âme qu’il met au service de ses convictions. N’oublions pas qu’il est absent