Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



30 avril.


Toute l’attention est aujourd’hui concentrée sur les événemens de l’Extrême-Orient. Ils ont pris, depuis notre dernière chronique, non pas une importance qu’ils avaient déjà, mais une allure toute nouvelle. La Chine a été vaincue : elle l’a été partout uniformément, sur terre comme sur mer, et il ne lui restait plus qu’à se résigner, quelles qu’elles fussent, aux conditions de paix que le vainqueur lui imposerait. Elle aurait eu grand tort d’essayer une résistance impossible. Ses ressources, s’il en existait encore, n’étaient pas en elle-même, mais bien dans les froissemens que les puissances européennes pourraient éprouver par suite de certains articles du traité de Simonosaki. Nous ne parlons pas, bien entendu, de froissemens d’amour-propre. Les événemens qui viennent de se produire sont si loin, au point de vue des distances, que l’Europe a pu les juger très froidement, très impartialement, sans y mêler aucun élément d’imagination. La preuve en est dans le fait final qui a étonné beaucoup de personnes, et qui en a scandalisé quelques-unes, à savoir l’action commune de la Russie, de la France et de l’Allemagne en Extrême-Orient. Quoi ! la France et l’Allemagne, si profondément divisées en Europe, se trouvent d’accord en Asie ? Il y a là de quoi surprendre au premier abord. On parle d’une triple alliance, d’une « triplice » nouvelle qui vient de faire sa première manifestation dans un autre hémisphère. Pourquoi pas si, dans cet hémisphère, les intérêts respectifs ne sont plus les mêmes, et s’ils exigent des classifications politiques différentes ? Rien loin de la critiquer, nous approuvons la liberté d’esprit que notre gouvernement a montrée dans cette circonstance. Il faudrait renoncer à toute action utile et efficace dans le monde si nous voulions subordonner notre politique, même en Afrique, même en Asie, aux sentimens particuliers qui la déterminent en Europe. Grâce à Dieu, nous ne sommes plus au temps où M. Clemenceau faisait un grief mortel à M. Jules Ferry d’avoir essayé de pressentir l’Allemagne, et de se ménager sa neutralité bienveillante au cours