Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seule nation, avons-nous dit, ne pouvait pas éprouver la moindre hésitation sur la politique à suivre : c’est la Russie. Elle se trouvait, à l’égard du traité de Simonosaki, à peu près dans la même situation que l’Angleterre autrefois à l’égard du traité de San-Stefano. Au nombre des clauses encore mal connues du traité sino-japonais, il en est une qui ne fait de doute pour personne, à savoir la prise de possession par le Japon de Port-Arthur et de la province du Liao-Toung, position qui commande à la fois le golfe de Petchili, c’est-à-dire Pékin, la Mandchourie méridionale, et enfin toute la Corée. Permettre au Japon de s’y installer avec toutes les ressources de l’art militaire contemporain serait rendre purement fictive l’indépendance de la Corée, et donner à son vrai maître un acompte formidable en vue de conflits désormais certains. La porte de la Chine, ou du moins de sa capitale, serait entre les mains du Japon ; la Sibérie russe serait menacée sur un de ses points essentiels ; la Corée serait condamnée au protectorat, en attendant une domination plus effective. Était-ce admissible ? De la part de la Russie, non ! sans aucun doute. De la part des autres puissances, c’était à voir.

Nous commencerons, naturellement, par la France. Si nous n’écoutions que nos sympathies, assurément elles seraient acquises au Japon : malgré une divergence passagère, elles lui resteront ou lui redeviendront fidèles. Nos rapports avec lui ont toujours été excellens. Il nous a emprunté beaucoup ; il s’est mis longtemps à notre école, avant de se mettre à celle de l’Allemagne qu’il a paru préférer ensuite. Le Japon est le porte-flambeau de la civilisation européenne en Extrême-Orient. Quels que soient les résultats immédiats de son intelligente et audacieuse initiative, l’humanité, en prenant le mot dans son sens le plus large, finira par y gagner. Il ne peut y avoir aucune jalousie de notre part dans la manière dont nous envisageons ses succès : plus grands ils ont été, et plus généreusement nous y avons applaudi. Mais nous ne pouvons pas oublier que la Chine, bien que nous ayons eu plus d’une fois à nous plaindre d’elle, est notre voisine immédiate en Asie, et que nous avons intérêt à vivre avec elle en bonne harmonie. Nous y sommes parvenus dans ces derniers temps : elle et nous, nous en sommes bien trouvés. La sécurité de nos frontières tonkinoises dépend, en partie, de sa bonne volonté ; non pas qu’elle puisse désormais la troubler profondément, mais parce qu’elle peut l’inquiéter assez longtemps encore. Toute vaincue qu’elle soit, la Chine est si grande que, sur bien des points éloignés du conflit qui vient de se produire et où peut-être la nouvelle n’en est pas encore parvenue, elle garde la plénitude de sa force locale. D’ailleurs, lorsque nous avons conquis le Tonkin, ce n’est pas sans avoir prévu les difficultés que nous devions rencontrer avec elle ; mais c’est avec la pensée constante que nous parviendrions à les aplanir et que, loin de souffrir de son voisinage,