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jeu Frédéric-Guillaume qui s’y dérobait toujours. « Le roi de Prusse dictera la paix, disait Delacroix à l’envoyé prussien, Sandoz ; je dis plus, et je parle au nom du Directoire : il dépend de lui de s’emparer du Hanovre et de ceindre la couronne impériale. » Carnot exprimait au même agent les mêmes pensées : « Il est une vérité constante et que les événemens futurs confirmeront : les deux cours impériales (Russie et Autriche) n’auront jamais d’autre système que d’abaisser la maison de Brandebourg, et la France républicaine n’aura jamais que celui d’élever sa considération et sa puissance[1]. » La Prusse, à ce moment, n’avait qu’un mot à dire et les Directeurs commençaient, pour le plus grand profit de cette monarchie, à tailler dans le grand en Allemagne, à séculariser les ecclésiastiques, à médiatiser les laïques, c’est-à-dire à concentrer les territoires et à réunir les peuples.

En Italie, sans y marcher d’un pas aussi décidé, ils inclinaient de plus en plus, à mesure que s’étendait la conquête et que la victoire se prononçait, vers une politique analogue. Mais si les conséquences de cette politique devaient être les mêmes en Italie qu’en Allemagne, le motif, en Italie, était plus noble et plus conforme aux principes de la Révolution française. Il ne s’agissait pas de « faire un empereur » et de dessiner des royaumes comme au temps du maréchal de Belle-Isle ; il s’agissait d’émanciper un peuple. Le projet était ancien. D’Argenson l’avait suggéré à Louis XV : « concentrer, disait-il, les puissances italiques en elles-mêmes, en chasser les étrangers », et former, entre ces puissances, une association « comme il y en a une germanique, une batavique et une helvétique[2] », tel était ce dessein que Napoléon III devait reprendre en 1859. Il n’y avait à y changer que quelques mots, à mettre : république, là où d’Argenson écrivait royaumes, grands-duchés ou duchés, pour le ramener à cette idée d’une « ceinture d’Etats libres » que caressaient les politiques du Directoire. Larevellière-Lépeaux s’était fait le coryphée de celle entreprise. Il y pensait depuis longtemps, dit-il, lorsque, le 16 décembre 1796, le Directoire ordonna que les manuscrits de d’Argenson seraient tirés du Bureau du triage des titres pour être déposés dans ses archives. Larevellière lut les chapitres relatifs à l’Italie et y trouva la confirmation de ses vues. Ce n’était point l’unité de l’Italie qu’il proposait ; c’en était la préparation. Mais le Directoire ignorait encore s’il ne serait pas contraint de restituer la Lombardie ou d’abandonner les Légations à l’Autriche.

  1. Rapports de Sandoz, 3 et 18 avril, dans Bailleu ; 1 avril, dans Hüffer, p. 321.
  2. Mémoires de d’Argenson, t. IV, p. 2G6, 464 et suiv. Cf. Mémoires de Larevellière-Lépeaux, t. II, p. 318, 270, 280, 302.