Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donne au Directoire les plus grandes espérances. » Le territoire de la république de Venise devait être partagé entre la république lombarde et l’empereur ; le lot de l’empereur serait en proportion de ce que ce prince consentirait à céder sur la rive gauche du Rhin[1]. Delacroix affirmait que les plus puissans souverains de l’Allemagne s’attendaient que nous obtiendrions cette rive gauche ; le fait est que ces princes s’étaient mis dans le cas de tirer de grands bénéfices de l’opération. Pour y décider l’Autriche, Delacroix allait, le 16 mai, jusqu’à lui abandonner une partie des îles du Levant. Quant au Rhin, si l’on ne pouvait avoir le tout, on se contenterait d’une ligne tirée de la Meuse au fleuve, et embrassant Aix-la-Chapelle, Verviers, Spa, Trêves, Coblentz, Mayence. Ce tracé avait été envoyé au Directoire par Hoche : ce général aurait préféré l’annexion totale, mais, disait-il, si on adoptait ce tracé « nul n’aurait rien à dire ». Le Directoire le transmit à Bonaparte, le 31 mai, en le déclarant « judicieux ». C’est, à peu près, la limite de Campo-Formio.


III

L’exécution des préliminaires était, dès lors, une chose assurée en Italie. Il n’en était pas de même à Paris. Le Directoire n’y disposait pas des mêmes moyens de persuasion, et il ne pouvait pas, à son grand regret, traiter le Corps législatif ainsi que Bonaparte traitait le Sénat et les conseils de Venise. La République était entrée dans une crise aiguë. Comme, à l’intérieur, entre les factions, tout était mensonges et embûches ; comme on ne pouvait pas discuter sans se démasquer, et se démasquer sans se perdre ; les factions se rejetèrent sur les affaires extérieures. De même qu’au début de la Révolution, en 1790, la question de paix et de guerre, la question des limites devint, en 1797, une question de pouvoir. Les républicains cherchaient à garder le pouvoir par la guerre et par la conquête ; les monarchistes cherchaient à s’en emparer en promettant la paix. L’affaire de Venise fournit un prétexte à discours, à cabales, à dénonciations réciproques : les belliqueux, se parant du beau motif d’une révolution démocratique, dissimulant la spoliation sous la propagande, rêvant du reste, grâce à quelques grands coups de sabre de Bonaparte,

  1. Delacroix à Clarke, 31 mai ; à Bonaparte, 3 juin 1797. « Quant aux arrangemens relatifs à l’Italie, le Directoire, en procurant à la République transalpine Mantoue, Brescia, jusqu’à l’Adige, consentirait à ce que Venise (la ville) appartînt à l’empereur. »