peut-être si nettement montré le progrès qu’il avait fait dans l’opinion et la place qu’il avait prise dans l’Etat. Avec Talleyrand c’était un monde nouveau, mal connu de lui, encore prestigieux, celui de la fameuse Constituante, qui se joignait à son cortège et lui offrait ses services. Bonaparte garda toujours quelque chose du charme de ce premier encens de la vieille France, encore que déclassée, défroquée et travestie. C’est, en partie, le secret d’une étrange faiblesse qu’il conserva jusqu’à la fin et dont il eut à se repentir. Une correspondance suivie s’engagea entre lui et le nouveau ministre ; il s’habitua à faire de Talleyrand le confident de ses desseins ; et, très vite, il en vint à lui donner des ordres sous couleur de lui demander des conseils. Talleyrand devina et agit en conséquence. Il se fit l’intermédiaire de Bonaparte auprès des Directeurs, auprès de l’opinion parisienne, auprès de ce monde de nouvellistes, de spéculateurs, de conspirateurs, d’intrigans qui remplissaient déjà ses antichambres ; dans les salons, surtout, qui se rouvraient et où se tramait le grand complot de tout le monde, celui des gens impatiens de revivre, de se divertir, de s’enrichir, de secouer le cauchemar de 93, de finir la Révolution à leur profit, de refaire une société qui serait fermée aux irréconciliables de l’émigration et de la Terreur, mais qui s’ouvrirait aux émigrés soumis et aux jacobins apaisés.
Bonaparte avait, en outre, à Paris, pour le renseigner, un de ses officiers, La Valette, homme d’esprit et de tact, dévoué corps et âme, et qui avait pied dans le monde des opposans ; assez suspect au Directoire, mais d’autant plus précieux à Bonaparte. Avec cet informateur et cet ambassadeur in partibus, il ne risquait point de faux pas. Il put travailler à coup sûr, dans la crise qui se préparait et qu’il jugeait nécessaire. Il s’accommoda de façon à se rendre indispensable aux triumvirs sans se livrer à eux, et à tirer parti de leur opération sans se compromettre dans l’aventure. S’il eût hésité, du reste, l’imprudence des « avocats », l’eût décidé contre les conseils. Les orateurs se déchaînèrent contre lui avec les mêmes dénonciations, les mêmes invectives que contre Hoche. Il eut Dumolard, comme Hoche avait Willot et Dufresne. Il répondit avec éclat, identifiant publiquement la cause de la République avec celle des armées, et la cause des armées avec sa propre cause. L’anniversaire du 14 juillet lui en fournit une première occasion. Cet anniversaire provoqua, dans toutes les armées, sauf dans celle de Moreau, où la réserve du chef atténuait l’ardeur des régimens, des adresses véhémentes. Celles de l’armée d’Italie dépassèrent toutes les autres par l’intensité de la couleur et par la violence des menaces.