Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouvait déjà ; Bonaparte s’en rapprocha et vint, le 17, s’établir à Passariano. Persuadé que les Autrichiens spéculaient sur les agitations de Paris, il était décidé à les pousser dans leurs retranchemens. Voulant la paix, il lui importe de la conclure de façon que le Directoire ne puisse pas en attribuer le mérite au coup d’Etat et s’en glorifier. De cette façon seulement il pourra, au lendemain du coup d’Etat, se présenter à la France comme l’arbitre des partis et le grand pacificateur, au dedans et au dehors. Tout l’y convie, non seulement les rapports de La Valette, mais la lecture des journaux, pleins d’appels à César. Les lettres lui arrivent, de toutes mains et comme de tous les étages de la Révolution. C’est l’évêque Grégoire : « Au milieu de vos triomphes, il vous reste une gloire nouvelle à recueillir, c’est de concourir à éteindre les divisions religieuses ou plutôt antireligieuses qui déchirent la République. » C’est le ci-devant marquis et toujours maître intrigant, Chauvelin, qui en appelle « à l’immortel Bonaparte », « aujourd’hui que la Constitution et la liberté semblent avoir tant besoin de secours et d’appui. » C’est Aubert-Dubayet, ambassadeur à Constantinople, qui s’adresse au général, comme tous ses collègues d’ailleurs, pour demander le mot d’ordre. C’est Carnot enfin : « La République ne sera fondée que par la paix ; la paix enchantera les Français et finira les maux de la République. Concluez-la et venez. Le peuple français tout entier vous appellera son bienfaiteur. Venez étonner les Parisiens par votre modération et votre philosophie. Il n’y a que Bonaparte redevenu simple citoyen qui puisse laisser voir le général Bonaparte dans toute sa grandeur. » Bonaparte est prêt à sacrifier Carnot aux triumvirs, parce que le triomphe du parti avec lequel Carnot succombera, ramènerait la monarchie ; mais les royalistes éliminés, Bonaparte profitera de l’illusion populaire que manifeste « l’organisateur de la victoire » ; c’est grâce à cette illusion que Bonaparte, acclamé comme citoyen, se fera dictateur de la République[1].

Les conférences recommencèrent le 31 août, et, de part et d’autre, on se plaignit de la violation des préliminaires. Les Autrichiens prétendirent mener de front, dans un congrès, en Allemagne, les négociations de la paix de l’Empire et celles de la paix d’Italie. Bonaparte vit le piège : les Allemands refuseraient la cession de la rive gauche et fourniraient à l’Autriche des argumens pour élever ses prétentions en Italie. Il déclara que la paix d’Italie se ferait avant celle d’Allemagne, et la préjugerait en

  1. Lettres d’Aubert-Dubayet, 1er août : de Chauvelin, 12 août ; de Grégoire, 30 août ; de Carnot, 17 août 1797. Corr. inédite, t. V et t. VI.