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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/272

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conclu avec ce prince. Surtout, répète-t-il, qu’on ne s’illusionne pas sur la force des républiques italiennes ; ces républiques demandent tout et donnent très peu de chose. « Si nous retirions, d’un coup de sifflet, notre influence morale et militaire, tous ces prétendus patriotes seraient égorgés par le peuple. Ce n’est pas lorsqu’on laisse dix millions d’hommes derrière soi, d’un peuple foncièrement ennemi des Français, par préjugé, par l’habitude des siècles et par caractère, que l’on doit rien négliger. » Il le sait d’instinct et d’expérience ; l’événement, en 1799, ne le démontrera que trop ; mais il sait aussi que le Directoire a des préjugés contraires, et il ajoute : « Si l’on ne m’en croit pas, je ne sais qu’y faire. » Enfin l’argument sans réplique : « Je vous prie de me remplacer… La situation de mon âme a besoin de se retremper dans la masse des citoyens. Depuis trop longtemps, un grand pouvoir est confié dans mes mains. Je m’en suis servi, dans toutes les circonstances, pour le bien de la patrie : tant pis pour ceux qui ne croient point à la vertu[1] !… »


V

L’une des premières pensées du Directoire « épuré » avait été pour Bonaparte ; l’un de ses premiers actes, dans la journée même du coup d’Etat, fut de révoquer Clarke, suspect de connivence avec Carnot, et de déclarer Bonaparte seul chargé des négociations ; c’était dans la confiance que Bonaparte tracerait, de son épée, le fameux cercle de Popilius. Mais les jours passent ; les courriers d’Italie se font attendre ; le Directoire ne reçoit ni de félicitations, ni de sermens, ni surtout d’argent. Des lettres de l’armée rapportent que Bonaparte, si réservé avec le Directoire, se montre, au contraire, très prolixe avec son entourage et blâme hautement les proscriptions. Les Directeurs passent du mécontentement à la crainte. Barras demande à Augereau des garanties en espèces. Cependant, comme on ne peut se passer de Bonaparte, et qu’on espère encore une fois le brider, après l’avoir employé à vaincre, on lui expédie courrier sur courrier, notes sur notes.

Le Directoire, malgré l’expérience de ses déconvenues successives, considère l’alliance comme faite avec le roi de Prusse et spécule en conséquence : grâce à ce prince et à ses alliés, on aura la majorité dans la Diète ; la Diète cédera la rive gauche du Rhin

  1. Bonaparte au Directoire, 19, 21, 25 septembre : à Talleyrand, 26 septembre 1797.