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empoisonnaient Hoche, n’aient essayé de jeter dans votre âme des dégoûts et des défiances capables de priver votre patrie de votre génie… Le Directoire exécutif croit à la vertu du général Bonaparte, il s’y confie… » Mais Bonaparte ne peut parler de repos ou de démission. La Constitution est en péril si de misérables intrigues « empêchent la République de s’élever à ses destinées ; s’il faut renoncer aux résultats de la conquête de l’Italie. » « Si la France n’est pas triomphante, si elle est réduite à faire une paix honteuse, si le fruit de vos victoires est perdu, alors, citoyen général, nous ne serons pas seulement malades, nous serons morts… »

Bonaparte a prévu leur réponse et il a déjà pris ses mesures. Il serre le filet autour de Venise, disposant les choses de manière que les Autrichiens n’aient qu’à tirer la corde. Il confisque tout ce qui se peut emporter. La docilité des démocrates vénitiens lui rend l’opération facile. Il prépare l’occupation de Malte et menace les Autrichiens dans l’Adriatique. Son jeu est de grossir les difficultés à Paris, afin qu’on y accepte la paix, et d’intimider les Autrichiens par l’appareil de la force, afin qu’ils consentent à signer. Il multiplie ses déclarations, qui deviennent comminatoires : « Le Directoire est indigné des menées ridicules du cabinet de Vienne… dit-il aux plénipotentiaires autrichiens. Si vous avez trouvé à Leoben un refuge dans notre modération, il est temps de vous faire souvenir de la posture humble et suppliante que vous aviez alors… Avant les préliminaires, vous n’avez pas voulu reconnaître la République française ; à Leoben vous avez été obligé de reconnaître la République italienne : prenez garde que l’Europe ne voie la République de Vienne ! »

Si effaré que l’on fût à Vienne, on ne l’était pas encore au point d’y craindre la république ; mais l’occupation de la ville par les Français suffisait à effrayer le peuple. Le gouvernement trouva que ce serait faire un coup de maître d’écarter ce péril et en même temps de s’arrondir en Italie. Thugut raisonnait et spéculait comme les Directeurs : prendre le moins possible, et ménager l’avenir. Donc exiger Venise et toutes ses dépouilles, plus Raguse, Cattaro, Salzbourg, Passau ; tacher de conserver à l’empire la rive gauche du Rhin dans sa plus grande partie, s’en faire un mérite aux yeux des Allemands ; abaisser la Prusse qui avait trafiqué de la terre allemande ; la décevoir dans ses ambitions de sécularisation ; et, si l’on devait, à toute extrémité, consentir la cession totale de la rive gauche, observer la maxime de Marie-Thérèse dans les affaires de Pologne : « Agir à la