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à la suite d’une conspiration contre le Régent et était allé s’installer à l’île Bourbon en 1720. La mère du poète, Suzanne-Marguerite-Élisée de Lanux, sortait de cette famille. Elle fut épousée par M. Leconte de Lisle, qui, à son tour, avait émigré à la Réunion en 1816 : ainsi, le poète avait d’un côté du sang créole, auquel il mêlait, d’autre part, des origines bretonnes et normandes. On avait déjà connu un faiseur de vers dans la famille de Lanux, le « licencieux » Parny, « L’oncle et le neveu ne se ressemblent guère, » avait coutume de dire Leconte de Lisle, lorsqu’on l’amenait à évoquer ces souvenirs de famille. Et il ajoutait : « Notre nom, dans nos papiers, est orthographié ainsi : Le Conte de Lisle, branche aînée, Le Conte de Préval, branche cadette. Je fus le premier à réunir les deux mots Le et Conte, afin d’éviter le semblant d’un titre. »

Toute son enfance, il la passa dans l’île magique, tantôt dans sa ville natale, tantôt sur la montagne, à l’Habitation. Là-haut, près de ses parents, l’enfant étudiait toute la semaine le latin et le grec ; le samedi soir, il fermait ses livres, et seul, il descendait les rampes de la colline, vers la ville, pour y passer le dimanche. La liberté reconquise lui faisait le cœur plus sonore. Il regardait les grandes montagnes d’un bleu sombre se dessiner nettement sur le ciel plus pâle, la chute incendiée du soleil dans la mer, la nuit soudaine, l’apparition successive des feux sur les hauteurs et des constellations dans le ciel. Il s’enivrait de la douceur des contrastes de cette heure ; et l’émotion qui vient de la beauté des choses gonflait son cœur d’amour. Voici comment lui-même, dans quelques pages intimes, évoque ces souvenirs d’enfance :

« Il est toujours délicat de parler de soi avec toute la modestie désirable, et bien que je ne sois pas de ceux qui s’illusionnent volontiers sur eux-mêmes, j’éprouve une certaine appréhension dès qu’il s’agit de me mettre en scène. Cependant, le peu que je puis vous dire étant presque impersonnel, je tiens la promesse que je vous ai faite.

« Ceci pourrait s’intituler : Comment la poésie s’éveilla dans le cœur d’un enfant de quinze ans. C’est tout d’abord grâce au hasard heureux d’être né dans un pays merveilleusement beau et à moitié sauvage, riche de végétations étranges, sous un ciel éblouissant. C’est surtout grâce à cet éternel « premier amour », fait de désirs vagues et de timidités délicieuses : cette sensibilité naissante d’un cœur et d’une âme vierges, attendrie par le sentiment inné de la nature, a suffi pour créer le poète que je suis devenu, si peu qu’il soit.

« La solitude d’une jeunesse privée de sympathies intellectuelles, l’immensité et la plainte incessante de la mer, le calme