divergente » demande un temps plus ou moins long, mais elle ne manque guère de s’accomplir. Il suffit, pour la rendre inévitable, de la diversité naturelle des esprits qui repensent les principes de la doctrine. Moins compréhensifs que son auteur, le plus souvent, et moins profonds, formés par une éducation différente, dominés par d’autres préoccupations, ils ne prennent jamais le système exactement comme il leur a été présenté. Ils s’attachent de préférence à certaines idées, et laissent plutôt dans l’ombre les autres, qui les touchent moins. De la sorte la doctrine se trouve, non pas enrichie, — je croirais volontiers qu’elle n’est jamais plus riche que chez son premier auteur, — mais développée, systématisée dans le détail, et conciliée autant qu’il est possible avec les doctrines antérieures. Elle devient ainsi, sous diverses formes, accessible, et assimilable pour l’élite intellectuelle de la nation. Puis elle descend insensiblement vers la foule, par la littérature courante, par l’enseignement, par la presse, par mille canaux insaisissables et rapides. Elle fait sentir son influence dans la manière d’écrire l’histoire, dans les théories politiques, dans tout cet ensemble flottant qu’on appelle les sciences morales. Mais, en même temps, à mesure qu’elles passent par plus d’esprits, les idées fondamentales du système perdent de leur précision et de leur rigueur. C’est comme un rayon lumineux qui, après avoir traversé des milieux de densité différente et de plus en plus opaques, expire enfin, en arrivant à un dernier plus obscur que les autres. La doctrine finit alors par se concentrer en quelques formules qui, pour avoir trop servi, n’ont presque plus de sens ou qui ressemblent fort à des « truismes ». Qu’il y a loin, par exemple, de Kant chez Kant lui-même, aux surprenans vestiges de sa pensée que l’on rencontre çà et là dans tel moraliste d’aujourd’hui ! Quand on en est là, la période d’activité métaphysique est close depuis longtemps.
Ainsi s’expliquerait peut-être, par une loi de décadence et de renaissance alternantes, l’indifférence présente de l’Allemagne pour la spéculation métaphysique. Elle serait la suite, et comme la rançon, de l’activité métaphysique déployée au commencement de ce siècle. Et plus cette activité a été intense, plus il semble naturel que la dépression qui y succède soit profonde. Or il serait difficile d’exagérer la force de l’impulsion que Kant avait donné alors à la pensée philosophique. Je ne parle pas seulement de l’enthousiasme que sa propre doctrine a soulevé, et des systèmes que Fichte, Schelling, Hegel, en firent sortir presque aussitôt, en la combinant avec les doctrines des anciens, des mystiques, et de Spinoza. L’action de Kant s’est étendue plus loin, et, pour ainsi