destinée, elle se porte d’abord aux questions dernières. Sans doute, ces questions trouvent une réponse dans les croyances religieuses. Mais cette réponse, la religion en général l’impose plutôt qu’elle ne la propose ; et la raison prétend ne rien admettre qu’elle ne puisse légitimer à ses propres yeux. C’est ainsi que dès son apparition en Grèce, la métaphysique rationnelle a eu un caractère laïque très nettement marqué. Et s’il en a été autrement pendant la plus grande partie du moyen âge, depuis la Renaissance, la tradition antique s’est renouée. Toutefois les rapports de la religion et de la philosophie ne pouvaient plus redevenir ce qu’ils avaient été avant le christianisme. La religion antique n’avait pas de dogmes. Elle n’enseignait pas de vérités qu’il fallût admettre, sous peine de devenir hérétique ou infidèle. Au moyen de quelques précautions très simples, extérieures, et qui ne diminuaient en rien sa liberté, le philosophe évitait tout conflit avec la religion. Le christianisme, au contraire, contient une métaphysique explicite et développée : de là, pour les penseurs modernes, une situation extrêmement délicate, et un ordre de problèmes que les anciens n’avaient pas connu. Tant que l’on ne douta point de la conformité de la raison et de la foi, la théologie révélée et la théologie naturelle s’accordèrent à merveille ; parties de prémisses différentes, elles se rejoignaient en des conclusions identiques. Pourtant, que cet accord fût précaire, le moyen âge même ne l’avait pas ignoré. Plus tard, Descartes, pour s’assurer le libre emploi de sa méthode, « mettait à part », avec de grandes démonstrations de respect, les vérités de la foi. Leibniz même était suspect aux pasteurs de Hanovre ; je ne dis rien de Spinoza, qualifié couramment d’athée. Depuis lors les conflits entre théologiens et métaphysiciens ne se comptent plus. L’Allemagne en a vu, comme on sait, de célèbres. La réaction cléricale qui suivit la mort de Frédéric II prétendit imposer silence à Kant, alors en pleine possession de sa gloire : et c’est une accusation d’athéisme qui fit perdre à Fichte, en 1799, sa chaire d’Iéna.
S’il existe ainsi un antagonisme, ou du moins une lutte d’influence entre le dogme religieux et la spéculation rationnelle, il semble bien que, lorsque l’une perd du terrain, l’autre devrait en gagner. Or depuis cinquante ans la théologie en Allemagne, — du moins dans l’Allemagne protestante, — voit peu à peu son autorité sur les esprits se restreindre. Non que les Facultés de théologie, dans les Universités, se dépeuplent. Les fonctions ecclésiastiques ont toujours leur recrutement assuré. Mais, sans chercher si les théologiens d’aujourd’hui sont inférieurs ou supérieurs à