mission de quitter cette Faculté pour celle de philosophie, qui l’attirait davantage. L’ensemble de ces faits est significatif. On ne peut y voir une série de coïncidences fortuites. Il est clair que quelques-unes des plus brillantes recrues de la métaphysique ont été des transfuges de la théologie.
Il ne faudrait pas exagérer, toutefois, cette solidarité historique de la théologie et de la métaphysique en Allemagne ; il ne faudrait pas surtout y voir un rapport de dépendance. En fait, plus d’une doctrine métaphysique s’y est constituée par l’effort d’une raison qui se gardait jalousement de toute influence théologique ou religieuse. Mais alors elle a, le plus souvent, son origine dans la psychologie. D’où peut naître, en effet, l’idée maîtresse d’un système métaphysique ? Ou elle procède du besoin de relier le visible à l’invisible, l’essence finie de l’homme à une cause première, le réel qui nous est donné à l’absolu qui nous surpasse : sans se confondre avec le sentiment religieux, ce besoin n’en est pas très éloigné, et les métaphysiques qui le satisfont contiennent toujours un élément mystique plus ou moins apparent. Ou bien, comme chez Socrate, comme chez Descartes, le point de départ est dans la réflexion de l’esprit sur lui-même, et c’est alors d’un effort psychologique approfondi que sort la métaphysique. Or autant le premier cas a été fréquent en Allemagne, autant le second s’y rencontre peu. Il ne semble pas que les Allemands (sauf exception) soient spontanément psychologues. Ils vont d’instinct à la spéculation sur l’absolu. Tout les y porte : leur imagination audacieuse et enthousiaste, leur sentiment religieux, leur prédisposition au mysticisme. Mais nous ne voyons pas que parmi leurs grands philosophes aucun ait pris le point de départ, de sa doctrine dans la psychologie. Et si, entre tant de pédagogues distingués que l’Allemagne a produits, il s’en trouve peu qui soient tout à fait de premier ordre, cela ne tiendrait-il pas à un défaut d’originalité psychologique ?
La psychologie, dans les trois derniers siècles, a été surtout anglaise et française : je parle de la psychologie classique et « introspective », non de la psychologie expérimentale ou physiologique. Celle-ci, de date récente, a trouvé aussitôt faveur chez les Allemands. Mais ils n’ont jamais beaucoup pratiqué la méthode proprement psychologique, par laquelle le moi se réfléchit, s’observe et s’analyse. Leur pensée ne s’arrête pas longtemps à cette station intermédiaire. Elle passe vite du point de vue de l’être individuel et particulier au point de vue supérieur de l’être nécessaire et absolu. En un mot, elle a été naturellement métaphysicienne.