puisque l’unification politique de l’Allemagne par les armes de la Prusse, et l’hégémonie de cette puissance, militaire par excellence, coïncidaient avec l’expansion industrielle et économique du pays.
Dans cette Allemagne toute nouvelle, qui s’est couverte de casernes et d’usines, la défaveur où est tombé le cosmopolitisme devait s’étendre aux idées libérales du xviiie siècle en général. De là, pour une part, la violence et la durée du mouvement antisémitique ; de là encore l’impuissance politique actuelle de la bourgeoisie. Sans elle, cependant, l’unité de l’Allemagne aurait été beaucoup plus difficile à accomplir. Elle a désiré passionnément cette unité ; elle y a travaillé de toutes ses forces. En réveillant, en excitant le sentiment national, elle a préparé les voies à la Prusse. Elle a tant fait enfin que les constitutions de 1867 et de 1871 ont été acceptées presque sans protestation. Mais après la victoire, elle put bientôt se dire : Sic vos non vobis. Prise entre les forces conservatrices d’un côté et la démocratie sociale de l’autre, elle a vu ses rangs s’éclaircir au Reichstag et son influence diminuer, sans que l’avenir lui offre beaucoup de chances de reconquérir sa prépondérance perdue.
Peut-être cet effacement politique de la classe moyenne n’est-il pas sans rapport avec l’indifférence que l’Allemagne témoigne aujourd’hui à la spéculation métaphysique. Cette classe lui avait toujours fourni le plus grand nombre et les meilleurs de ses adeptes. Au contraire, pour des raisons diverses, conservateurs et socialistes n’éprouvent à l’égard de la métaphysique qu’indifférence ou méfiance. Instruits par l’expérience du passé, les premiers sont très attentifs aux dangers de la libre spéculation métaphysique. Ils savent qu’elle envient toujours à éprouver les bases mêmes de la société et à mettre en question les croyances les plus indispensables ; car les conséquences d’une théorie se développent indépendamment des intentions de son auteur, et elles peuvent ébranler cela même qu’il se proposait de raffermir. Quant à la démocratie socialiste, ses affinités naturelles l’attirent plutôt vers le positivisme que vers la spéculation métaphysique. S’il lui fallait choisir entre les systèmes, ses préférences iraient à celui dont les représentans, en fait, ont le plus souvent sympathisé avee l’esprit révolutionnaire, ou ont paru le plus suspects aux défenseurs de l’ordre établi. Ce sont ainsi des motifs pratiques plutôt que théoriques, je pense, qui ont déterminé la sympathie réciproque des socialistes et des matérialistes contemporains en Allemagne ; sympathie modérée d’ailleurs, qui n’empêche pas les chefs du parti d’éviter toute spéculation proprement métaphy-