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Ce résultat a été l’œuvre de la seule initiative privée et libre. Un caprice de la fortune a voulu qu’aux Etats-Unis les rares tentatives de concours financier des pouvoirs publics fussent presque toujours frappées de stérilité ou ne profitassent qu’à la spéculation ; le succès est réservé à l’effort individuel. En revanche, celui-ci est singulièrement énergique, violent même, audacieux à l’excès, et sa fécondité merveilleuse ne saurait trouver de plus splendide témoignage que l’admirable expansion des chemins de fer dans le territoire de l’Union. A l’heure où tant de nations européennes semblent admettre l’ingérence toujours croissante de l’Etat dans les diverses fonctions de la vie sociale ; à la veille du jour où l’application pratique d’une force supérieure à la vapeur va peut-être révolutionner encore une fois le monde économique; l’attention se sent attirée vers cette œuvre d’activité individuelle et d’association volontaire. L’objet de cette étude est d’exposer le régime de liberté et de concurrence auquel est soumise, aux Etats-Unis, l’industrie des chemins de fer, en l’envisageant d’abord dans la construction, puis dans l’exploitation des lignes, en signalant ensuite ses conséquences dans les rapports des chemins de fer avec le public et la législation, et ses résultats dans l’organisation et la gestion intérieure des compagnies.


I

En fait sinon en droit, la plus grande liberté préside à la création des chemins de fer aux Etats-Unis : l’autorité confère, en pratique, le privilège de l’investiture légale à toute entreprise formée selon les statuts locaux ; c’est le « laissez faire », moins, à la vérité, l’indifférence pour ce qui se fait. Ce régime, aussi vieux que les premières voies ferrées, n’est pas le résultat d’un principe posé a priori par les pouvoirs publics, mais s’est établi tout naturellement, comme le système le plus simple, au même titre que le « laissez passer » dans le commerce intérieur. La même liberté ou, si l’on veut, la même licence, a existé en Angleterre lors de ce qu’on a appelé la période de la folie des chemins de fer, mais elle dura peu, et les gros frais des enquêtes, qui absorbèrent le dixième du capital des compagnies, eurent vite fait de mettre à la raison les spéculateurs les plus entreprenans. En Amérique, l’immensité des territoires à coloniser et l’absence de routes terrestres firent tout d’abord un devoir aux législatures de faciliter la construction des lignes ferrées ; on n’ouvrit pas le trésor public, mais on débarrassa de toute entrave légale la constitution des