concurrence, qui dans toute autre industrie tend à égaliser en même temps qu’à réduire le prix des marchandises, amenait et accentuait ici les inégalités les plus sensibles de pays à pays.
C’est dans le Nord-Ouest que ces abus occasionnèrent d’abord les souffrances les plus vives, parce que les compagnies, propriétaires des elevators[1] et d’immenses concessions de terres, y exerçaient une domination presque absolue; c’est là aussi que, sous l’influence des Grangers, l’agitation populaire se manifesta en premier lieu et s’éleva immédiatement au plus haut degré de la violence. La Grange nationale du Nord-Ouest était une fédération d’agriculteurs organisée en 1867 dans un simple dessein de coopération, et qui, tombée aux mains des politiciens locaux, ne tarda pas à se faire l’organe des revendications sociales du parti « fermier ». En 1870 les Grangers se mirent à la tête du mouvement naissant d’opinion, et dès lors la lutte s’engagea sans merci contre les chemins de fer, « serviteurs du peuple qui se sont faits ses maîtres », avec force déclamations au sujet de ces « nouveaux barons féodaux », auxquels il fallait apprendre que « l’objet créé ne doit pas se faire plus grand que le créateur. » Comme mot d’ordre, on prit un vieux principe d’autrefois, très discuté en son temps, puis oublié, enfin remis à neuf pour la circonstance, que « les chemins de fer sont des voies de communication publiques (public highways). » En 1871, la législature du Minnesota rend le premier Granger bill, fixant un tarif maximum proportionnel à la distance, assez bas pour couper tout profit dans la racine, et capable de conduire en un mois toutes les compagnies à la faillite; l’Illinois, le Wisconsin, tous les États du Nord-Ouest suivent bientôt l’exemple du Minnesota en renchérissant les uns et les autres sur la rigueur de ces dispositions prohibitives.
Les compagnies refusèrent de se soumettre. Elles portèrent immédiatement la question sur le terrain légal, où elles perdirent leur procès : en 1876, la Cour suprême sanctionna les lois promulguées et reconnut aux législatures locales le droit de fixer, dans l’intérieur de chaque État, les tarifs des « chemins de fer et de toute entreprise impliquant un monopole virtuel. » Au contraire, sur le terrain pratique, l’issue de la partie fut toute différente : les compagnies cessèrent immédiatement la construction des lignes nouvelles, ce qui suspendit les progrès économiques de toute la région du Nord-Ouest; puis, pour limiter leurs pertes dans l’exploitation, elles réduisirent leur service à son minimum, jusqu’à priver effectivement le pays de ses moyens de transport. Ainsi se démontra par l’absurde le vice de la politique des Grangers ;
- ↑ Entrepôts à blé.