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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/417

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à lui pour qu’une autre solution, plus radicale celle-là, l’exploitation par l’État, réclamée par l’Alliance des fermiers du Sud-Ouest, proposée aussi par des économistes tels que le professeur R. T. Ely, ne rencontre d’ici longtemps en Amérique aucune chance de succès.


IV

D’une manière générale on peut donc dire qu’aux États-Unis le régime économique de l’industrie des chemins de fer ne se distingue par aucun trait essentiel du régime de toute autre branche d’industrie. Même liberté d’entreprise en pratique, même concurrence sur le marché, même absence de monopoles légaux; l’intervention des pouvoirs publics ne s’exerce d’une façon spéciale et efficace que dans le contrôle technique et dans la répression de certains abus tels que les discriminations. Les chemins de fer sont en fait une industrie comme une autre. Voyez en Europe, sur le continent, ce qui domine dans les chemins de fer, c’est leur caractère de service d’intérêt général; sont-ils même exploités par des compagnies concessionnaires, ils ne constituent en vérité la plupart du temps que des administrations quasi publiques. Au contraire aux États-Unis comme en Angleterre, mais plus encore qu’en Angleterre, le côté industriel est prépondérant : avant tout ce sont des « affaires », des entreprises privées, qui ne doivent compter que sur elles-mêmes et où l’intérêt personnel occupe la première place. Nous trouverons les conséquences de ce caractère en jetant un coup d’œil sur la gestion pratique et l’organisation intérieure d’une compagnie de chemins de fer en Amérique.

Tout d’abord une compagnie américaine est une affaire qui doit rapporter : sa conduite financière et ses méthodes techniques sont entièrement inspirées de ce principe. Prenons une compagnie à sa naissance : elle va ouvrir une ligne dans une région encore peu peuplée et peu productive, ou même dans un territoire nouveau qu’il s’agit de coloniser ; elle dispose d’ailleurs de ressources limitées et sait qu’elle n’a d’aide à attendre de personne. Dès lors, au lieu d’immobiliser de gros capitaux dans le premier établissement en lui donnant tout de suite sa forme définitive et parfaite, elle construira au meilleur marché possible en réduisant la ligne à sa plus simple expression. Les routes nouvelles de l’Ouest par exemple ne sont que des embryons de chemins de fer; des rails longs et peu pesans jetés sur des traverses qui reposent directement sur le sol naturel, voilà la ligne. On évite les travaux d’art au moyen de courbes et de déclivités, car le matériel roulant,