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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/448

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La folie des grandeurs conduit fatalement à la manie de la persécution. Qu’un jour le salut de Montecatino soit plus court, qu’un jour on ne le fasse pas asseoir au haut bout de la table, qu’une princesse ait des distractions en lui parlant, que le duc, préoccupé d’une affaire d’Etat, soit plus avare de ses sourires, ou qu’un de ses amis, fatigué de ses éternelles doléances, lui représente que son malheur est peut-être moins réel qu’il ne le croit, il se dira persécuté, et il s’en prendra ou à la méchanceté des hommes ou à la malice des enchanteurs.

Avide d’honneurs, il recherche aussi les plaisirs. Il exige qu’on lui fasse une vie douce, brillante, agréable, infiniment variée. Il est impatient de tout joug, de toute règle; il ne peut souffrir aucune gêne ; il ne saurait dormir que sur un lit de roses : si l’une de ces roses fait un pli, il aura le cauchemar et se plaindra de son destin. Quoiqu’il aimât Platon et qu’il ait tâché d’aimer les Pères de l’Église, il eut toujours l’imagination épicurienne, et tout ce qu’elle lui promettait, il voulait le posséder sur l’heure. — « Jeunes gens, dit la sirène des jardins d’Armide, celui-là seul est sage qui cherche ce qui lui plaît et cueille le fruit dans sa saison; c’est le cri de la nature: serez-vous sourds à ses leçons?... Cueillons la rose au matin, ce soir elle sera fanée. »


Cogliam d’Amor la rosa.


Son plus grand malheur fut d’être né de parens riches, dont l’Espagne confisqua les biens, et qui, subitement appauvris, ne lui laissèrent qu’un très maigre héritage. Le souvenir de son enfance choyée, de cette maison luxueuse dont il avait goûté les douceurs et l’abondance, l’a toujours poursuivi, et il n’a jamais su renoncer à rien, se déprendre de rien, se retrancher sur rien. Le bonheur tel qu’il l’avait connu se composait d’une foule de détails; qu’un seul vienne à manquer, ce ne sera plus le bonheur. Réduit à la mendicité, mettant sa fierté sous ses pieds, il demandera qu’on mette beaucoup de beurre sur son pain, qu’on ne refuse à son indigence aucune des superfluités qui sont pour lui des besoins. Il lui faut un cheval, il lui faut de l’argenterie: « Seigneur Vittorio, donnez-moi cette coupe, je meurs d’envie de l’avoir, on ne m’ôtera pas cette coupe de l’esprit. » Il lui faut aussi un domestique: « Quand je suis né, mon père était riche; ma mère ne m’a pas appris à me servir moi-même. » Il voudrait que ce domestique eût les plus rares qualités et pas un défaut, que ce serviteur aussi intelligent que dévoué reconnût au flair, a naso, les fâcheux, les éconduisît adroitement, ouvrît toutes ses lettres, ne lui fit voir que celles qui sont accompagnées d’un don ou d’une promesse, brûlât les autres et ne laissât jamais arriver jusqu’à