par laquelle nous nous élevons le plus au-dessus de la brute, ce n’est point notre aptitude à convaincre ou à être convaincus par l’exercice de la raison, mais plutôt notre aptitude à subir l’influence de l’autorité et à la faire subir. » Et quant au rôle de la raison, voici, d’après M. Balfour, en quoi il consiste : « J’ai lu quelque part que, dans la machine à vapeur, telle qu’elle était à l’origine, il y avait un homme spécialement chargé d’ouvrir la soupape par où la vapeur entrait dans le cylindre. Il était tenu de tirer un cordon, à des intervalles déterminés. Et j’ai l’idée que, jusqu’au jour où son emploi fut décidément supprimé, cet homme devait en être très fier, et se considérer comme la partie la plus importante de la machine, simplement parce qu’il en était la seule partie rationnelle. » Nous ressemblons tous à cet ouvrier. Nous sommes fiers de notre raison, et nous croyons ingénument qu’elle dirige toute notre vie ; tandis qu’en réalité la part de notre raison personnelle dans notre vie se réduit à fort peu de chose. Parmi toutes nos idées, en est-il une seule qui nous vienne directement de nous-mêmes, que nous ayons acquise, développée, contrôlée, sans le secours d’une autorité étrangère?
Ce chapitre sert de conclusion à la partie critique du livre de M. Balfour ; et nous assistons dans les chapitres suivans à un essai de reconstruction positive. Car M. Balfour estime que l’esprit humain ne saurait se passer d’un système philosophique, d’une doctrine d’ensemble touchant les origines et la fin des choses. Mais le système idéal doit donner une satisfaction égale à tous les besoins naturels de l’esprit, puisque aussi bien toutes nos croyances, d’où qu’elles nous viennent, ont pour nous une égale valeur. « L’erreur des systèmes naturalistes, fondés sur la science et la raison, a été d’admettre a priori et comme une vérité manifeste, que les croyances scientifiques et rationnelles étaient non seulement différentes de nos autres croyances, mais leur étaient encore supérieures ; qu’elles seules étaient dignes d’être prises en considération, au détriment, par exemple, de nos croyances esthétiques et morales ; que les lois scientifiques étaient les seules vraies, et les méthodes scientifiques les seules efficaces. »
Il s’agit donc de créer un système capable de donner satisfaction à tous nos besoins et à toutes nos croyances. Et d’abord ce système aura d’autant plus de chance d’être parfait qu’il craindra moins de s’élever au-dessus de l’apparence sensible et de l’expérience ordinaire. C’est par la hardiesse de leurs généralisations que Leibniz, Kant, Hegel, aujourd’hui encore, nous paraissent si grands. « Et la chose est vraie, même en ce qui touche Spinoza. Les philosophes, en vérité, ne peuvent guère trouver leur compte dans sa méthode ni dans ses conclusions. Ils ont vite fini d’admirer la soi-disant rigueur mathématique