Au début de ma carrière, ma bonne fortune m’a mis en présence d’un homme qui, à ce moment, remplissait le monde de son nom. Sorti d’une troupe de mercenaires et devenu le maître de l’Egypte, il avait connu toutes les angoisses et tous les enivremens de la puissance ; il avait battu et dispersé les armées de son souverain, lui avait ravi plusieurs provinces ; il l’avait menacé dans sa capitale ; il avait provoqué et réuni contre lui tous les grands gouvernemens de l’Europe, hormis la France. J’arrivai sur les bords du Nil pour assister à la lutte de ce conquérant, issu du néant, contre les forces d’une coalition à laquelle s’étaient associées toutes les puissances qui avaient terrassé Napoléon. L’événement était de ceux qui frappent et remuent une imagination juvénile, et le principal auteur du drame qui se jouait alors apparaissait comme un personnage des temps héroïques, fait pour intéresser et séduire un esprit inexpérimenté.
En débarquant à Alexandrie, mon premier poste, en septembre 1840, j’eus une impression réconfortante pour mon patriotisme. Partageant toutes les illusions nées des premiers succès de Mehemet-Ali, toutes les sympathies qu’avaient éveillées en France ses efforts pour rendre, à la civilisation, la terre des Pharaons, j’étais anxieux d’apprendre que ses armées soutenaient vaillamment les hostilités commencées en Syrie. En pénétrant dans l’immense rade, j’avais passé à travers des forces maritimes considérables et imposantes. La flotte du sultan, tout entière, que la défection du Capitan-pacha avait livrée au vice-roi, s’y trouvait réunie à la flotte égyptienne. On n’avait pas vu, on ne verra