On approchait cependant d’un moment où cette vie active devait être profondément troublée. Mehemet-Ali fléchissait sous le poids d’un grand âge et des vicissitudes de sa carrière si longue et si agitée. Sans subir encore des éclipses bien visibles, la lucidité de son esprit s’obscurcissait : il ne retenait pas toujours la nette perception des choses. Son orgueil s’en offensait ; il s’irritait à la pensée que ces lacunes de sa mémoire pourraient porter son entourage à discuter et à méconnaître ses ordres. En 1844, il eut un accès bien apparent de la perturbation qui menaçait ses facultés intellectuelles. Notre consulat général était, à ce moment, confié aux mains du marquis de La Valette. Doué d’une intelligence fine et déliée, jointe à une séduisante aménité, notre représentant avait rapidement conquis le vice-roi et pris, à Alexandrie, une position prépondérante. Mehemet-Ali aimait à l’entendre, à débattre avec lui des questions de tout ordre, particulièrement celles qui touchaient à la politique générale. Il y avait, dans cette recherche, un sentiment toujours en éveil dans ses préoccupations. Il s’enquérait soigneusement du passé des agens qu’on lui envoyait ; il savait que M. de La Valette avait rempli des fonctions diplomatiques, qu’il était très répandu dans le monde parisien, et en rapports avec les hommes politiques en évidence. Il pensait en tirer des informations utiles. Poussé par son désir de s’instruire, il ramenait constamment les entretiens qu’il avait avec lui sur les idées dominantes en France et sur le caractère de nos relations avec les autres puissances. Il le conviait souvent à sa table, ce qui était une nouveauté, aucun représentant étranger ne s’y étant assis avant lui. Cette innovation constitua un précédent dont bénéficièrent ses collègues et ses successeurs. Tout entier à ses devoirs, M. de La Valette sut faire tourner ces relations si cordiales à l’avantage de la colonie française. Les lazaristes lui doivent le magnifique établissement de bienfaisance et d’instruction qu’ils ont fondé à Alexandrie. Il obtint en effet du vice-roi, pour ces missionnaires, avec l’autorisation de s’établir en Égypte, ce qui n’était pas une chose aisée à cette époque, la concession gratuite d’un vaste emplacement avec tous les matériaux qui s’y trouvaient réunis. Ce terrain avait une superficie assez étendue pour qu’ils aient pu le faire traverser par une large rue, en bâtissant, d’un côté, les écoles des garçons, le logement des Pères avec un dispensaire ; de l’autre, l’école des filles, le logement des sœurs avec une église qui est ouverte aux fidèles de toutes les nations, comme les écoles et le dispensaire le sont
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