monumentales, dignes de ses premiers prédécesseurs, les Pharaons. Il eut la pensée de percer l’isthme de Suez, et il chargea un de nos compatriotes, Linant-Bey, directeur des travaux hydrauliques, d’en ébaucher les études. Mais bientôt il se persuada qu’en réunissant les deux mers, il s’exposait à éveiller les convoitises des puissances européennes, de celle surtout qui aurait un intérêt capital à mettre la main sur cette voie donnant accès à ses vastes possessions asiatiques. Je lui entendu souvent débattre cette grave question avec un sens politique fort élevé. Il comprenait tous les avantages offerts au monde par un canal unissant la Méditerranée à la mer des Indes ; il sentait vivement que l’honneur serait immense et durable pour le souverain qui l’exécuterait ; mais il ne sentait pas moins, il percevait clairement les dangers auxquels il exposerait le possesseur de l’Egypte. « Le canal, lui disait-on, sera votre Bosphore, et la Turquie doit au Bosphore de départager toutes les puissances, de neutraliser leurs ambitions respectives, et de lui permettre de n’en rien redouter pour la sécurité de la capitale. — Vous vous méprenez, répondait-il ; le Bosphore, ce passage qui ne conduit pourtant que dans la Mer-Noire mais bien aussi dans la Méditerranée, est la source de tous les revers essuyés par l’empire ottoman depuis un siècle. Si les sultans avaient pu le fermer, ils régneraient encore sur leurs anciennes possessions. » Qui pourrait prétendre aujourd’hui que sa pénétration ou, si l’on veut, ses pressentimens l’induisaient dans une grave erreur ?
Chose étrange, l’Angleterre, à cette époque, hostile déjà au canal aussi énergiquement qu’elle n’a cessé de l’être jusqu’à son ouverture, consacrait tous ses efforts à obtenir, en se chargeant au besoin de tous les frais, la construction d’un chemin de fer du Caire à Suez. La France, au contraire, donnait toutes ses préférences à l’entreprise destinée à mettre en communication les deux mors. Nos consuls généraux furent moins heureux avec Mehemet-Ali que M. de Lesseps avec l’un de ses successeurs, et si justifiées que pussent être les appréhensions du vieux pacha, nul ne saurait regretter que l’auteur du canal ait pu mener sa tâche à bonne fin. L’œuvre est un bienfait pour tous les peuples. L’histoire dira qu’elle est due au courage et à la persévérance d’un Français, secondé par l’opinion enthousiaste de notre pays. Elle est en outre d’un intérêt trop universel pour qu’il ne vienne pas un moment où les puissances continentales, cessant d’abdiquer toute initiative, se concerteront pour que cette grande voie de communication entre les deux mondes reste confiée à des mains qui en assurent, à tous les intéressés, la libre et entière jouissance en tout état de choses.