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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/535

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tout ordre fondées par leurs soins. La plupart d’entre eux, presque la totalité, étaient des Français. Revenu en Égypte, après une courte absence, pour y reprendre la gestion du consulat général, je dus intervenir pour couvrir nos nationaux. J’acceptai le conflit dont Abbas-Pacha prenait l’initiative, et je lui fis entendre toutes les vérités qu’il me donnait le droit d’invoquer. « Ne suis-je pas le maître ? me répondait-il. Les fonctionnaires, indigènes ou étrangers, ne sont-ils pas mes servi leurs aussi longtemps que je les paie ? J’ai donc le droit de les remercier. — L’exercice de ce droit, répliquais-je, n’est pas seulement une mesure inique, prise contre des hommes, aussi honorables que laborieux, qui ont rempli tous leurs devoirs et acquis ainsi des droits que nul ne peut méconnaître ; elle est en outre, par le nombre et la qualité des personnes atteintes, presque toutes mes compatriotes, une offense pour le gouvernement français, et je protesterai hautement, chaque jour, contre l’injustice et l’inconvenance d’une pareille résolution, en attendant les instructions que j’ai demandées à Paris… Celle résolution, lui disais-je encore, est d’autant moins justifiable qu’elle implique le désaveu, la désapprobation de tous les actes qui ont fait la gloire de Mehemet-Ali. » Il se montra d’abord absolument rebelle à mes observations. Esprit faible et non préparé à la discussion, il se dérobait aux entretiens que je cherchais à provoquer. Je dus charger de lui renouveler mes représentations, un de ses confidens, Nubar-Pacha, aujourd’hui premier ministre, auquel il avait confié le soin de défendre ses vues.

Il en vint pourtant à me faire proposer, par ce même fonctionnaire, une transaction garantissant, à tous les employés congédiés, une rémunération et des indemnités exceptionnelles. Il finit même par comprendre que l’ostracisme des européens, recrutés par son grand-père, soulèverait les plus vives récriminations, et il renonça à y donner suite. Un seul Français, Clot-Bey, censeur habituel et caustique des habitudes d’Abbas-Pacha du vivant de Mehemet-Ali, ne se sentant plus en sûreté, désira lui-même quitter l’Égypte et je pus obtenir pour lui, à titre de pension de retraite, la totalité de son traitement, réversible, en cas de décès, sur ses enfans jusqu’à leur majorité.

Abbas-Pacha persévérait néanmoins à prendre uniquement conseil de son fanatisme. À la mort de Mehemet-Ali, il se rendit à Constantinople pour y recevoir l’investiture du sultan. Il y étala, avec ostentation, son dé vouement au prince des croyans. Comment justifiait-il cette attitude ? « Mon grand-père, disait-il en rentrant au Caire, se croyait un souverain absolu ; il l’était pour nous, pour ses serviteurs, pour ses enfans. Mais il était l’esclave