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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/544

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les terrasses carrées descendent en cascades. Il y a des plis, mais il n’y a point de jour entre elles. La ville est d’une seule masse, posée au flanc de la colline. Et elle est décidément bleue, d’un bleu léger, comme un morceau de ciel pâle qui serait tombé là. Des vols de mouettes passent. Les muezzins crient la prière. Leurs appels gutturaux, comme des sons de cloches brisées, s’en vont loin dans l’air calme. Et après eux tout se tait. Le premier crépuscule commence. Tout baigne encore dans la clarté, mais le rayon s’efface aux toits des minarets.


CADIX


Cadix, 23 octobre.

Deux imagos disent tout Cadix, et les voici.

De très loin, plus d’une heure avant d’arriver au port, j’apercevais la ville, comme flottante sur la mer. Je pouvais même douter que ce fût une ville. C’était une succession de blancheurs dentelées, longues sur les eaux frissonnantes, et que rien ne semblait rattacher aux terres que nous suivions. Ces formes pâles bordées de soleil, les unes carrées, d’autres hardies et hautes, disposées par grandes masses que séparait le trait fuyant d’une lame, ressemblaient plutôt à des voiles assemblées, à une flotte étrange et sans corps, dont les coques auraient sombré, dont les matures entoilées feraient des îles au ras du ciel.

Lorsque j’ai eu visité les rues et quelques-uns de ces monumens catalogués, où l’homme se répète sans cesse, et qui retiennent de moins en moins l’attention à mesure qu’on avance dans l’étude d’un pays, j’ai monté au sommet de la totre de Vigia, l’une des nombreuses tours qu’avait construites ce peuple de corsaires et de marins, pour découvrir au loin les vaisseaux et l’état de la mer. Alors, au-dessous de moi, j’ai vu un amoncellement de terrasses blanches, enveloppées par l’Océan, sauf d’un côté, où une mince bande de sable s’en allait, dans le recul des brumes chaudes, rejoindre des côtes basses. Tous les murs, toutes les guérites aux angles des toitures plates, tous les minarets étaient peints à la chaux. Pas une tache de tuiles ou d’ardoises, pas même un jardin dans l’intérieur de cette ville de neige. Les yeux se fatiguaient et se fermaient dans la lumière aveuglante qui rayonnait d’en bas. Et Cadix allongée, un peu inclinée, éblouissante au bout de sa tige aux tons neutres, m’apparut comme une touffe de tubéreuses qu’on aurait jetée sur l’eau. Elle en avait l’éclat, la chair épaisse et ferme, et jusqu’aux pétales, hérissés et pointant de toutes parts en fleurons de couronne.