extraordinaire, et se jeter trente fois de suite au-devant de l’ennemi, et supporter la douleur de trente blessures.
Alors seulement elles seront admises à perpétuer la race de la ganaderia, et feront partie du troupeau. Tous les autres animaux, lâches ou à moitié braves, taureaux ou génisses, seront envoyés à la boucherie, et tués d’un coup de poignard.
L’heure de la course n’a pas encore sonné pour le taureau. Il grandit en liberté ; on l’appelle utrero jusqu’à trois ans et demi, cuatreño aux approches de quatre ans, toro après quatre ans : mais il n’est guère admis aux arènes, il n’a toute sa puissance et tout son développement qu’entre cinq et six. À ce moment le propriétaire le vend aux entrepreneurs de corridas, pour un prix qui varie entre 800 et 2 500 francs. Les bons taureaux de Veraguas, — la plus fameuse ganaderia d’Espagne, — ne valent jamais moins de 2 000 francs. Si on veut bien se souvenir qu’il y a toujours six taureaux de combat, et deux espadas, dont chacune est payée cinq ou six mille francs, on jugera des frais qu’entraîne une course espagnole.
C’est ici que les cabestros entrent en scène. Il m’a fallu venir en Espagne pour apprendre que les bœufs sont des animaux très intelligens. Ils sont même rusés, malgré leurs lourdes allures et leur apparente bonhomie. Comment séparer les taureaux vendus et destinés à la course de demain, d’avec le reste du troupeau ? Comment les conduire du pâturage jusqu’aux arènes, quand il y a trois, cinq, dix lieues de campagne, et de chemins, et de faubourgs à traverser ? Les hommes ne le pourraient faire seuls : les cabestros s’en chargent. Ils sont dressés à obéir à la parole et au geste ; ils comprennent « à gauche ! », ils comprennent « à droite ! » ; ils devinent ce qu’on demande d’eux. Lorsqu’un vaquero leur a désigné un taureau, on les voit s’en aller vers lui, cinq ou six ensemble, au petit trot, dandinant leur sonnette fêlée, entourer l’animal un peu surpris, le pousser amicalement, de la tête ou de la croupe, — ce qui leur vaut, de temps à autre, un coup de corne, — l’écarter peu à peu, l’entraîner avec eux dans une direction qu’ils savent. Si leur élève très peu docile prend le large et s’enfuit, ils galopent après, et le ramènent jusqu’à une avenue bordée de pieux qui aboutit à une enceinte. Là ils redoublent de moyens de persuasion, s’engagent dans la souricière, rassurent par leur exemple leur compagnon qui se méfie, et, tout à coup, se trouvent prisonniers avec lui, car une barricade, rapidement manœuvrée, leur a fermé la retraite. Prisonniers, oui, mais pas pour longtemps. Ils ont une habileté rare pour revenir à petits pas, d’un air innocent, vers la porte, guetter le moment où elle