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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/576

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échange. » Sur ce mot Bonaparte s’emporta, voyant bien où s’acheminait la conversation, et que l’unique objet de Cobenzl était de se faire offrir davantage : « Il avait été trop facile, on lui faisait perdre son temps sans nul égard ! Or, il s’estimait l’égal de tous les rois ! on l’amusait par des prétentions de congrès, par de fausses interprétations de) préliminaires… » Cette sortie rendait à Cobenzl ses avantages ; il savait payer de contenance. Pendant qu’il se répandait en solennelles protestations déloyauté, Bonaparte s’apaisa. — « La République française, dit-il, ne se départira jamais de l’exécution des lois décrétées par elle ; avec les moyens qu’elle a, elle peut, en deux ans, faire la conquête de toute l’Europe. » Puis, sur l’observation de Cobenzl qu’en ce cas l’Europe n’aurait qu’à se garantir par tous les moyens possibles, il reprit : « Je ne dis pas que ce soit l’intention de la République française ; mais nous ne ferons pas la paix sans Mayence, et nous ne rendrons pas les forteresses d’Italie sans Mayence. — Et moi, je ne signerai pas la paix sans la stipulation de la prompte évacuation de toutes les provinces qui doivent nous appartenir. — De cette manière votre séjour à Udine ne sera pas de longue durée, et ce sera la dernière raison des rois et des États qui décidera. — L’empereur, déclara Cobenzl, désire la paix, mais il ne craint pas la guerre. Quant à moi, j’aurai au moins la satisfaction d’avoir fait la connaissance d’un homme aussi célèbre qu’intéressant. »

Dans ce premier entretien, Bonaparte et Cobenzl avaient touché tous les points litigieux et reconnu leurs positions. La question était de savoir lequel des deux serait assez tenace ou assez menaçant pour contraindre l’autre à reculer. Ils se rendirent chez Gallo, pour la conférence officielle. Elle dura près de cinq heures. Cobenzl « rabâcha les mêmes choses ; » Bonaparte argumenta obstinément. Ces conférences officielles, qui se succédèrent régulièrement, ne furent que la mise en notes et en protocoles des observations échangées dans les entretiens particuliers. Elles ne donnent que la répétition, sans lumière, sans costumes, sans décors, de la pièce qui se composait dans les entr’actes. Lorsque l’on eut signé le procès-verbal, on s’en alla dîner chez Gallo, qui, ce jour-là, traitait tout le monde. Après le dîner, au moment où il savait que « les Allemands parlent volontiers », Bonaparte entreprit de nouveau Cobenzl, et ils firent encore assaut pendant plusieurs heures. Bonaparte, par tactique et par penchant, parut s’abandonner ; il par la beaucoup et de toutes choses. Il parla de Pichegru, espérant induire les Autrichiens en quelque indiscrétion ; il parla de son propre rôle en Vendémiaire ; il parla des émigrés, de la famille royale et impériale ; « il n’y mit point