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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/58

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d’autres encore que je pourrais nommer. On a pu railler ce salon de la rue Saint-Dominique, à côté duquel (tout comme Marcella dans sa maison du mont Aventin) elle avait établi une chapelle où des jeunes femmes, en toilette élégante, allaient furtivement demander à la prière un secours contre les tentations du monde. Mais ce n’en est pas moins un des lieux où, pendant une longue période de temps, ont été échangés entre les hommes les plus distingués les plus nobles propos. Ce qu’il faut reconnaître et saluer en Mme Swetchine, plutôt qu’une émule de La Bruyère ou de saint Augustin (bien que des œuvres distinguées et touchantes soient sorties de sa plume), c’est, comme on l’a dit excellemment : « une chrétienne accomplie qui savait en même temps comprendre, avec une exquise délicatesse, les rapports de sa foi avec les mœurs et les sentimens de la société où elle vivait. » Pour une femme qui n’a jamais visé à la sainteté d’une Paula, c’est le plus fin des éloges, et si elle l’a mérité en quelque chose, c’est assurément dans ses relations avec Lacordaire, telles que la publication de leur correspondance nous les a fait connaître.

Lacordaire avait été présenté à Mme Swetchine par Montalembert à une époque critique de sa vie, c’est-à-dire au moment où il venait de rompre avec Lamennais : « J’abordais, a-t-il écrit, aux rivages de son âme comme une épave brisée par les flots... Par quels sentimens fut-elle ainsi poussée à me donner son temps et ses conseils? Sans doute quelque sympathie l’y portait, mais, si je ne me trompe, elle fut soutenue par la pensée d’une mission qu’elle avait à remplir près de mon âme. Elle me voyait entouré d’écueils, conduit jusque-là par des aspirations solitaires, sans expérience du monde, sans autre boussole que la pureté de mes vues, et elle crut qu’en se faisant ma providence, elle répondait à une volonté de Dieu. » Dans ces quelques lignes, Lacordaire a marqué d’un trait juste la nature de la relation si particulière qui s’ouvrit à cette date entre Mme Swetchine et lui, et qui devait durer vingt-sept ans. Du côté de Mme Swetchine, cette relation avait quelque chose de maternel et d’un peu protecteur ; du côté de Lacordaire, quelque chose de confiant et d’ingénu. Dans plus d’une circonstance, elle fut en effet sa boussole. Avec son esprit sûr, son tact de femme, sa connaissance du monde, elle prévint de sa part des résolutions inconsidérées, des mouvemens trop vifs, des démarches intempestives. De même que Marcella mettait parfois la main sur la bouche de Jérôme pour l’empêcher de prononcer des paroles imprudentes, de même Mme Swetchine (c’est à elle-même qu’est empruntée l’image) tenait Lacordaire par le pan de son habit, pour ralentir des mouvemens trop rapides ou trop brusques. C’est avec cet esprit de