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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/594

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Le lendemain, il était apaisé. Il reçut le mieux du monde Gallo qui le vint voir ; il consentit à retirer son projet de protocole ; il protesta qu’il avait atteint le dernier terme de ses pouvoirs. Comme en s’expliquant davantage on ne pouvait plus que dissiper les malentendus sur lesquels reposait tout le compromis de la paix, on décida de ne plus tenir de conférence jusqu’au jour de la signature définitive. On s’occupa de part et d’autre à mettre en forme les projets de rédaction.

Le 13 octobre, Bourrienne, en entrant dans la chambre de Bonaparte, le matin à sept heures, lui dit que les montagnes étaient couvertes de neige. Bonaparte sauta à bas de son lit et courut à la fenêtre. « Avant la mi-octobre ! dit-il. Quel pays ! Allons, il faut faire la paix. » Il reçut une lettre d’Augereau, datée de Strasbourg le 8 octobre. Augereau faisait un tableau décourageant de l’armée du Rhin. Le 15, se promenant avec Marmont dans les jardins de Passeriano, Bonaparte lui dit : « Notre armée est belle, nombreuse et bien outillée, et je battrais infailliblement les Autrichiens ; mais… la saison est avancée ; … l’arrière-saison, dans un pays aussi âpre, rend la guerre offensive difficile. N’importe, tout pourrait être surmonté ; mais l’obstacle invincible à des succès durables, c’est le choix d’Augereau pour commander l’armée du Rhin… Comprenez-vous la stupidité du gouvernement d’avoir mis 120 000 hommes sous les ordres d’un général pareil ?… Une fois enfoncés en Allemagne et arrivés aux portes de Vienne et l’armée du Rhin battue, nous aurions à supporter tous les efforts de la monarchie autrichienne et à redouter l’énergique patriotisme des provinces conquises. À cause de tout cela, il faut faire la paix, c’est le seul parti à prendre. Nous aurions fait de grandes et belles choses ; mais, dans d’autres circonstances, nous nous dédommagerons. »

Le 16, le courrier attendu par les Autrichiens arriva ; le 17, Cobenzl se déclara prêt à signer, et l’on convint de le faire à Campo-Formio, qui se trouvait à égale distance d’Udine et de Passeriano. Les choses en étaient là quand Bonaparte fut averti par un courrier de Turin que le Directoire, se ravisant tout d’un coup, s’était décidé à ratifier le traité avec la Sardaigne, et que M. de Saint-Marsan allait se rendre au quartier général pour conférer sur les mesures militaires à prendre en commun[1]. Bonaparte jugea que cette ratification se faisait trop tard ; mais si le courrier du Directoire arrivait avant la signature du traité avec l’Autriche, une rupture pourrait s’ensuivre. Il donna l’ordre d’arrêter tous les

  1. Voir, sur cette conférence, Hüffer, p. 447 et suiv. : Rapports de Cobenzl, 14 et 19 octobre 1797. — Ranke, Hardenberg, 1, p. 374 ; Mémoires de Larevellière-Lépeaux, t. II, p. 275.