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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/621

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George eut la sensation de recevoir sur l’âme une soudaine ondée de fraîcheur. Il s’abandonna avec gratitude à ce réconfort. Et, lorsqu’il pressa de ses lèvres le front d’Hippolyte, il y cueillit le souvenir de la cité guelfe, de la cité déserte qui s’abîme dans la muette adoration de son Dôme merveilleux.

— Orvieto ! Tu n’y es jamais allée ? Figure-toi, au sommet d’un rocher de tuf, sur une vallée mélancolique, une ville si parfaitement silencieuse qu’on la dirait sans habitans : fenêtres closes, ruelles grises où l’herbe croît ; un capucin qui traverse une place ; un évêque qui, devant un hôpital, descend d’un carrosse tout noir, avec un domestique décrépit à la portière ; une tour dans un ciel blanc, pluvieux ; une horloge qui sonne lentement les heures ; et, tout à coup, au fond d’une rue, un miracle : le Dôme !

Hippolyte dit, un peu songeuse, comme si elle avait eu dans les yeux la vision de cette cité du silence :

— Quelle paix !

— J’ai vu Orvieto en février, par un temps comme celui d’aujourd’hui, incertain : quelques gouttes de pluie, quelques rayons de soleil. Je n’y suis resté qu’un jour, et j’étais triste en partant : j’emportais avec moi la nostalgie de cette paix… Oh ! quelle paix ! Je n’avais pas d’autre compagnie que moi-même. Je faisais ce rêve : « Avoir une maîtresse ou, pour mieux dire, une sœur-amante qui serait pleine de dévotion ; venir ici, demeurer ici un mois, un long mois d’avril, d’un avril un peu pluvieux, cendré, mais tiède, avec des averses de soleil ; passer des heures et des heures dans la cathédrale, devant, autour ; aller cueillir des roses dans les jardins des couvens ; aller chez les religieuses acheter des confitures ; boire l’Est-Est-Est dans une petite tasse étrusque ; aimer beaucoup et dormir beaucoup, dans un lit moelleux, tout voilé de blanc, virginal… »

Ce rêve fit sourire Hippolyte de bonheur. Elle dit d’un air ingénu :

— Je suis dévote, moi ! Veux-tu m’emmener à Orvieto ?

Et, se pelotonnant toute aux pieds de l’aimé, elle lui prit les mains. Une immense douceur l’envahissait ; elle avait déjà l’avant-goût de ce repos, de ce loisir, de cette mélancolie.

— Raconte encore !

Il lui mit un baiser sur le front, longuement, avec une émotion chaste. Puis il la caressa longuement du regard.

— Tu as le front si beau ! dit-il avec un petit frisson.

En ce moment-là, l’Hippolyte réelle correspondait pour lui à la figure idéale qui vivait dans son cœur. Il la voyait bonne, tendre, soumise, respirant une noble et douce poésie. Selon la devise