avait prise au lendemain de la révolution de Juillet. L’Avenir, dont il avait été un des principaux rédacteurs, avait séparé la cause de l’Eglise de celle de l’ancienne monarchie. A leurs yeux c’était un grief irrémissible. Certain sermon sur la Vocation de la nation française, où il avait parlé en chaire de l’avènement de la bourgeoisie, avait mis le comble à leurs préventions. On l’appelait couramment un tribun. Mme de La Tour du Pin s’était fait sans doute l’écho de ces accusations, car Lacordaire lui répondait cette fois sur un ton ferme, et, tout en se défendant contre des imputations qu’il jugeait injustes, il lui marquait nettement la situation indépendante qu’il entendait garder, entre l’opposition royaliste et le gouvernement : « Je fais des fautes, sans doute, comme tout homme, mais infiniment moins que vous ne pensez, et si, au lieu de ouï-dire, vous aviez, droit devant vous, mes actions, vous connaîtriez quel degré de malice et de ruse il y a dans l’esprit de parti pour dénaturer les faits, les paroles et les idées. Je n’ai jamais écrit une ligne, ni dit un mot qui puisse autoriser la pensée que je suis un démocrate. J’ai été, depuis vingt ans que date ma conversion au christianisme, uniquement et profondément monarchique, mais hostile seulement à la monarchie absolue, telle qu’elle est en Russie et en Autriche, telle qu’elle n’a jamais été en France, même sous Louis XIV. Après cinquante ans que tout prêtre français était royaliste jusqu’aux dents, j’ai cessé de l’être. Je n’ai pas voulu couvrir de ma toge sacerdotale un parti ancien, puissant, généralement honorable, et d’une autre part me donner au gouvernement nouveau, lequel m’aurait protégé au moins, béni, sacré, comme tant d’autres. Je suis resté à découvert de tous côtés, sous la seule protection de Dieu et de mes œuvres. Est-ce donc là une position qui n’explique pas tout, et si, à force de grâces intérieures et de douceur de cœur, je conserve assez de liberté pour ne pas tomber et pour rire encore avec mes amis, est-ce de l’optimisme, ou n’est-ce pas plutôt la force d’un honnête homme qui connaît son mal et n’y succombe pas? Jugez-moi donc sur ce que vous avez vu de moi, de vos yeux, et entendu de vos oreilles, et croyez que tout est possible aux partis, quand ils croient avoir intérêt à perdre un homme. »
Lacordaire a bien encore quelques sujets de querelle avec la comtesse Eudoxie, mais c’est à propos de ses éternelles méfiances. Il lui reproche d’avoir le génie des monstres et d’en voir partout. Il n’y a rien de si rare que les monstres, lui dit-il, et comme, en lui écrivant, elle avait oublié de mettre sur l’adresse de sa lettre l’indication du département, il ajoutait : « Votre lettre pouvait passer trois semaines avant d’avoir épuisé tous les Flavigny.